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Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec

En décembre 2000, le Parlement du Québec a adopté la Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec (Loi). Cette loi, dont la nature est celle d'un texte constitutionnel, revêt une grande importance en ce qu'elle réaffirme solennellement les acquis collectifs, les responsabilités de l'État du Québec ainsi que les droits et les prérogatives de l'Assemblée nationale à l'égard de toute question relative à l'avenir du peuple québécois au sein de la fédération canadienne.

Par exemple, la Loi affirme que le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec, et qu'il détermine seul, par l'entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités de l'exercice de ce droit. Lorsque le peuple est consulté par référendum, l'option gagnante est celle qui obtient la majorité des votes déclarés valides (règle du 50 % + 1).

La Loi énonce également que l'État du Québec tient sa légitimité de la volonté du peuple qui habite son territoire et qu'il est souverain, tant à l'interne que sur la scène internationale, dans les domaines relevant de ses compétences constitutionnelles. La Loi réitère que le français est la langue officielle du Québec et que l'État reconnaît, dans l'exercice de ses compétences constitutionnelles, les droits existants de la minorité anglophone et des nations autochtones du Québec. Finalement, elle enjoint au gouvernement de veiller au maintien et au respect de l'intégrité territoriale du Québec afin que l'État du Québec y exerce tous les pouvoirs liés à sa compétence.

Contestation judiciaire de la Loi

Le 9 mai 2001, M. Keith Henderson et le Parti égalité ont déposé en Cour supérieure du Québec une requête visant à faire déclarer inconstitutionnels les articles 1 à 5 et 13 de la Loi au motif que ces articles outrepasseraient les compétences législatives du Parlement du Québec et seraient contraires à la Charte canadienne des droits et libertés. Ils alléguaient que cette loi cherche à donner au gouvernement du Québec le droit de poser des actions contraires à la Constitution, en l'occurrence de déclarer unilatéralement la souveraineté du Québec.

Le 23 août 2001, le procureur général du Québec a fait signifier aux requérants une requête en irrecevabilité au motif que les questions posées par ces derniers n'étaient pas justiciables. Le 19 août 2002, la Cour supérieure a d'abord déclaré irrecevable la requête de M. Henderson et du Parti égalité, avant que la Cour d'appel n'accueille en partie l'appel interjeté par les requérants, le 30 août 2007. La Cour d'appel a cependant restreint l'étendue de la requête déposée en Cour supérieure. Le procureur général du Québec a décidé de ne pas porter cette décision en appel.

La cause est ensuite retournée devant la Cour supérieure, mais ce n'est qu'à l'été 2012 que les requérants ont signifié leur intention d'aller de l'avant.

Pour sa part, le procureur général du Canada, mis en cause, a produit, le 16 octobre 2013, une déclaration d'intervention dans laquelle il a proposé à la Cour supérieure d'adopter une interprétation atténuée limitant au maximum la portée de chacune des dispositions 1 à 5 et 13 de la Loi ou, si cela devait s'avérer impossible, de conclure alors à l'inconstitutionnalité de ces articles.

Décision de la Cour supérieure

Dans sa décision étoffée, la Cour supérieure a donné entièrement raison à la position défendue par le Québec à l'égard de chacun des articles contestés de la Loi (Henderson c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 1586). Selon le tribunal, tous les articles de la Loi respectent la Constitution, ce qui comprend la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, la Cour supérieure a conclu que le recours aux expressions « peuple québécois » et « État du Québec » n'est pas un fait nouveau dans la législation québécoise, que leur emploi dans la Loi vise uniquement à réaffirmer ce fait, et non à permettre au Québec de faire sécession.

De même, elle statue que le simple fait d'indiquer dans la Loi que le peuple québécois peut disposer de lui-même ne suffit pas à inférer qu'il puisse faire sécession de façon unilatérale sans négociation. Quant à la codification de la règle qui veut que l'option gagnante lors de la tenue d'un référendum soit celle du 50 % des votes validement exprimés plus un vote, la Cour supérieure souligne que d'autres provinces possèdent des dispositions similaires et que ces dernières n'ont jamais été jugées inconstitutionnelles. En outre, le résultat d'un référendum n'est que consultatif et le véritable pouvoir décisionnel, rappelle le tribunal, appartient aux personnes élues.

En somme, la Cour supérieure a estimé que la matière visée par la Loi porte sur des principes fondamentaux qui se situent au cœur de la démocratie québécoise et qui participent à la constitution du Québec. Selon la Cour, ces principes ne vont aucunement à l'encontre des énoncés formulés par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, et ne concernent que le Québec en tant que membre de la fédération canadienne.

Décision de la Cour d'appel

En appel, la Cour d'appel du Québec a rejeté tous les moyens invoqués par l'appelant (Henderson c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 565). Notamment, elle a refusé de préciser quelle procédure de modification constitutionnelle serait applicable en cas de sécession. Elle nie d'ailleurs la possibilité que la procédure de l'unanimité puisse s'appliquer. Elle écrit :

Comme il l'avait fait dans le cadre du Renvoi sur la sécession, l'appelant cherche ainsi à enraciner une éventuelle hypothétique démarche d'indépendance du Québec dans un moule au sein duquel chaque province canadienne et le gouvernement fédéral auraient un droit de veto absolu et unilatéral sur la démarche entreprise. Or, cette approche ne fut pas entérinée par la Cour suprême du Canada.

La Cour d'appel a également rejeté la prétention de l'appelant voulant que la notion de « peuple québécois », employée notamment aux articles 1 à 4 et 13 de la Loi, soit un corollaire du droit à l'autodétermination en droit international. Selon elle, un législateur provincial peut certainement recourir à cette expression dans sa législation sans enfreindre le cadre constitutionnel canadien.

Enfin, la Cour d'appel a refusé d'admettre les déclarations judiciaires que le procureur général du Canada lui demandait de prononcer voulant que le Québec soit une province et que les articles 1 à 5 et 13 de la Loi ne peuvent constituer le fondement juridique d'une déclaration unilatérale d'indépendance. D'abord, la Cour a reconnu que le Québec diffère des autres provinces. Elle écrit :

[…] le Québec n'est pas une province comme les autres. Il s'agit là d'un fait sociologique et politique incontestable. Entre autres, le Québec est le foyer de la langue et de la culture française en Amérique du Nord et son régime juridique fondé sur le droit civil se distingue nettement de ceux de ses partenaires et voisins. Faire ces constats n'a pas pour objet de nier ou de diminuer les particularités propres aux autres provinces du Canada, mais plutôt d'éviter que les particularités importantes et incontestables du Québec soient elles-mêmes éclipsées ou évacuées du débat juridique.

Ensuite, comme la Cour suprême du Canada avait déjà traité de la question de la déclaration unilatérale d'indépendance dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la Cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'y revenir.

Toutefois, considérant qu'il est impossible pour un tribunal d'envisager toutes les circonstances dans lesquelles la Loi pourrait être invoquée, la Cour d'appel a laissé entrouverte la possibilité qu'elle soit un jour déclarée inapplicable ou inopérante sur le plan du droit interne canadien. Pour cette raison, elle a confirmé la décision de la Cour supérieure tout en rayant le paragraphe de sa décision qui allait à l'encontre de cette conclusion.

L'appelant n'a pas interjeté appel de l'arrêt de la Cour d'appel devant la Cour suprême du Canada.