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Place du Québec au Sénat

Au Canada, l'État fédéral possède un système parlementaire bicaméral, c'est-à-dire qu'en plus du roi ou de la reine, le parlement fédéral est composé de deux assemblées législatives, soit la Chambre des communes et le Sénat.

Soulignons que le Sénat est l'une des composantes fondamentales du compromis fédératif de 1867. Ainsi, en échange de la représentation selon la population à la Chambre des communes, le Québec et les provinces maritimes ont obtenu l'égalité de représentation des régions au Sénat. Cela leur garantissait une représentation minimale au sein des institutions fédérales, ce qui devait permettre de protéger les divers intérêts des régions et des provinces quant au contenu de la législation fédérale. Donc, cela devait permettre au Sénat de jouer un rôle de contrepoids par rapport à l'autre chambre.

Selon l'article 22 de la Loi constitutionnelle de 1867, la répartition des sièges au Sénat est prévue entre quatre divisions régionales, chacune représentée par 24 sénatrices et sénateurs : le Québec [24], l'Ontario [24], les provinces maritimes (Nouvelle-Écosse [10], Nouveau-Brunswick [10], Île-du-Prince-Édouard [4]) et les provinces de l'Ouest (Manitoba [6], Colombie-Britannique [6], Saskatchewan [6], Alberta [6]). Plus tard, Terre-Neuve-et-Labrador, entrée dans la fédération en 1949, s'est vu accorder six sièges au Sénat, tandis que les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon et le Nunavut sont représentés chacun par une sénatrice ou un sénateur, pour un total actuel de 105 sénatrices et sénateurs.

La Constitution prévoit qu'une sénatrice ou un sénateur réside dans la province ou le territoire pour lequel elle ou il a été nommé. Une condition supplémentaire s'applique au Québec : des circonscriptions sénatoriales ont été créées et chaque sénatrice ou sénateur doit résider (ou posséder sa qualification foncière) dans la circonscription sénatoriale dont la représentation lui est assignée. L'objectif de cette exigence supplémentaire, à l'époque, était de s'assurer que, parmi les 24 sénatrices et sénateurs du Québec, il s'en trouverait un certain nombre provenant de la minorité anglophone regroupée territorialement dans certaines circonscriptions sénatoriales.

Les sénatrices et sénateurs, y compris ceux qui représentent le Québec, sont sélectionnés par le premier ministre fédéral et sont nommés officiellement par le gouverneur général. Le Québec ne choisit donc pas les personnes qui sont appelées à le représenter à cette chambre.

Tentatives de réforme du Sénat

Depuis les années 1960, le Québec a généralement envisagé la réforme du Sénat dans le cadre plus global d'une réforme constitutionnelle. Le Québec a soutenu que, si une réforme des institutions fédérales devait avoir lieu, elle se devrait d'accroître la participation des provinces dans le processus menant à la nomination des sénatrices et sénateurs et d'assurer une réelle représentation des provinces au sein de cette institution.

Le Québec considère que la réforme du Sénat ne peut être réalisée que dans le cadre de négociations multilatérales. C'est dans cette optique qu'en novembre 2007, l'Assemblée nationale du Québec a adopté une motion unanime réaffirmant que « toute modification au Sénat canadien ne peut se faire sans le consentement du gouvernement du Québec et de l'Assemblée nationale ».

Entre 2006 et 2012, le gouvernement fédéral a déposé pas moins de huit projets de loi visant soit à transformer le Sénat en une chambre élue, soit à imposer un mandat d'une durée fixe pour les sénatrices et sénateurs (8, 9 ou 10 ans), ou les deux à la fois. Or, la Constitution du Canada prévoit que le « mode de sélection des sénateurs » peut être modifié uniquement de manière multilatérale, avec le consentement du Sénat, de la Chambre des communes et des assemblées législatives d'au moins sept provinces représentant au moins 50 % de la population de toutes les provinces (la procédure dite du « 7/50 » prévue à l'alinéa 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982). En 1979, la Cour suprême a jugé que les caractéristiques essentielles du Sénat ne pouvaient pas être modifiées de manière unilatérale (Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54, p. 67).

Procédure de renvoi devant la Cour d'appel du Québec

En avril 2012, par une procédure de renvoi, le gouvernement du Québec a soumis à la Cour d'appel du Québec des questions relatives à la constitutionnalité des mesures prévues dans le projet de loi C-7, qui était, à l'époque, la dernière proposition de réforme du Sénat déposée par le gouvernement fédéral. Intitulé Loi concernant la sélection des sénateurs et modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 relativement à la limitation de la durée du mandat des sénateurs, le projet de loi C-7 était divisé en deux parties. Premièrement, il prévoyait un cadre électoral qui devait constituer le « fondement du processus de sélection des candidats sénatoriaux ». Dans la mesure où une province édicterait une loi sur les élections sénatoriales en substance conforme au cadre fédéral prévu, le premier ministre fédéral aurait été obligé de « tenir compte » du résultat des élections lors de la recommandation qu'il doit faire au gouverneur général, lequel nomme officiellement les sénatrices et sénateurs. Deuxièmement, le projet de loi C-7 aurait modifié l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 afin de prévoir que les sénatrices et sénateurs seraient dorénavant nommés pour un seul mandat de neuf ans. L'article 29 prévoit actuellement qu'une sénatrice ou un sénateur occupe sa place jusqu'à ce qu'elle ou il atteigne l'âge de la retraite, fixé à 75 ans.

Le 24 octobre 2013, la Cour d'appel du Québec a rendu son avis et donné raison au procureur général du Québec en déclarant que le projet de loi C-7, s'il avait été adopté, aurait été inconstitutionnel, car les mesures qu'il contenait étaient relatives aux « pouvoirs du Sénat et au mode de sélection des sénateurs », sujets visés par l'alinéa 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui renvoie à la procédure du « 7/50 » (Projet de loi fédéral relatif au Sénat (Re), 2013 QCCA 1807). Le procureur général du Canada avait plaidé que le mode de sélection des sénatrices et sénateurs n'était pas touché par le projet de loi puisque ce mode resterait nominatif (et non électif), le premier ministre fédéral et le gouverneur général conservant leur prérogative quant au choix final des candidates et candidats, quel que soit le résultat des élections. Il plaidait également que la durée du mandat des sénatrices et sénateurs n'était pas une question soumise à la procédure multilatérale de modification constitutionnelle.

Procédure de renvoi devant la Cour suprême du Canada

Contexte

Le 1er février 2013, le gouvernement fédéral s'est, à son tour, tourné vers les tribunaux et a soumis par renvoi des questions à la Cour suprême du Canada relativement à la réforme du Sénat. Il a demandé à la Cour de déterminer la procédure applicable pour :

  • modifier la durée du mandat des sénatrices et sénateurs;
  • mettre en place des élections sénatoriales consultatives;
  • abolir le Sénat;
  • modifier les exigences relatives aux qualifications en matière de propriété des sénatrices et sénateurs.

Les auditions sur le renvoi fédéral ont eu lieu en novembre 2013. Toutes les provinces et tous les territoires, à l'exception du Yukon, sont intervenus. La Cour suprême a également mandaté deux amis de la Cour (amicus curiæ) pour qu'ils soumettent des mémoires, compte tenu de la complexité et de l'importance de ce dossier constitutionnel.

Avis de la Cour suprême du Canada

Dans son avis rendu le 25 avril 2014, la Cour suprême a donné raison au procureur général du Québec (et aux autres intervenantes et intervenants ayant essentiellement soutenu les mêmes arguments) sur toutes les questions qui lui étaient soumises (Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 R.C.S. 704). Ainsi, elle a corroboré l'essentiel des conclusions auxquelles la Cour d'appel du Québec en était arrivée dans son avis. De plus, la Cour suprême a conclu que le consentement unanime des deux chambres du parlement fédéral et de toutes les assemblées législatives provinciales était requis pour abolir le Sénat (art. 41 de la Loi constitutionnelle de 1982), reconnaissant par le fait même un droit de toutes les provinces de s'opposer à l'abolition du Sénat.

Elle a également conclu que le parlement fédéral pouvait abolir unilatéralement la condition relative à la qualification foncière des 81 sénatrices et sénateurs ne provenant pas du Québec. Cependant, une modification de la condition relative à la qualification foncière des 24 sénatrices et sénateurs du Québec, y compris dans le cadre d'une abrogation complète de la disposition visant l'ensemble des 105 sénatrices et sénateurs, devra obtenir le consentement de l'Assemblée nationale étant donné qu'un « arrangement spécial » est prévu dans la Constitution en ce qui concerne les sénatrices et sénateurs québécois.

Ce renvoi est important pour le Québec, car il s'agit de l'une des rares décisions de jurisprudence constitutionnelle qui porte, d'une part, sur la modification en profondeur d'une institution fédérale qui se situe au cœur du compromis fédératif de 1867 et, d'autre part, sur le rôle que le Québec et les autres provinces sont appelés à jouer à l'égard d'une pareille modification.