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19 avril 2018, Palais des Académies, Bruxelles, Belgique À l’occasion du colloque sur « La modification constitutionnelle dans tous ses états — expériences belge, canadienne et européenne »

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Remarques préliminaires

Mesdames et messieurs, bonjour.

Permettez-moi avant toute chose de remercier les principaux organisateurs de cet événement qui ont eu l’amabilité de m’inviter :

  • Marc Verdussen, de l’Université Catholique de Louvain
  • Patrick Taillon, professeur à l’Université Laval
  • Dave Guénette, doctorant à l’Université Laval et à l’Université catholique de Louvain

J’aimerais aussi saluer :

Stéphane Dion

Mesdames et Messieurs

C’est pour moi un véritable plaisir d’être avec vous pour échanger sur les questions de relations entre les communautés, ce qui inclut l’aspect constitutionnel de ces relations.

Je me réjouis également de la place significative que vous avez réservée aux situations québécoise et canadienne.

Depuis 20 ans, et jusqu’à l’an dernier, le sujet était presque devenu tabou chez nous.

Le lancement de notre politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, le 1er juin dernier, nous a permis de lui redonner vie sur la scène publique.

Cette politique propose une grande orientation : la reconnaissance de la diversité collective et la valorisation des appartenances plurielles et repose sur une voie de passage incontournable : un dialogue de rapprochement et de meilleure compréhension réciproque.

Ce rapprochement nous offre des retombées plus larges que simplement celles d’ordre constitutionnel. C’est à un renouveau de solidarité que nous appelons.

L’évolution identitaire et constitutionnelle au Canada

Pour comprendre où on en est aujourd’hui, il importe de faire un bref retour historique.

En raison de sa réalité plurinationale, le Canada est un des tout premiers États à s’être dotés d’une formule fédérale. À l’origine, le fédéralisme canadien admet l’expression des appartenances nationales multiples. D’ailleurs, cela était vrai dès 1774, avec l’Acte de Québec.

La Constitution de 1867 établit une forme de fédéralisme dont l’une des vocations principales est d’accommoder des identités nationales, culturelles et linguistiques.

Mais la première moitié du vingtième siècle verra un éloignement se dessiner entre le Canada français et le Canada anglais quant à leur interprétation du sens historique de notre fédération.

C’est en effet avec le mouvement interventionniste des années 1930 visant à répondre aux marasmes causés par la Crise économique que la thèse du Canada « One-Nation » commence à prendre de la vigueur.

Cette perspective devient progressivement le paradigme dominant dans la pensée politique ailleurs au Canada.

Au Québec, l’idée initiale du « pacte » entre les deux peuples fondateurs perdure; c’est-à-dire une perspective voulant que le Canada soit le fruit d’un compromis fédératif visant notamment à préserver la spécificité de notre Nation.

Les années 1960 marquent une évolution accélérée de la question identitaire au Québec.

Le Gouvernement du Québec devient interventionniste à son tour. Avec un cri de ralliement : « Maître chez nous », il lance un grand changement, une Révolution tranquille.

De Canadiens-français, nous devenons Québécois.

Les francophones du Québec, majoritaires, verront leur statut de travailleurs de seconde classe transformé en celui de leaders économiques avec l’apparition du Québec Inc.

Le Québec affirme ses priorités en matière de relations intergouvernementales et négocie notamment le droit de se retirer de certains programmes sociaux fédéraux avec pleine compensation financière.

L’asymétrie devient un outil d’assouplissement permettant de répondre aux aspirations du Québec dans le cadre canadien.

Cette période intense d’affirmation nationale nous amène au référendum du 20 mai 1980, alors que 60 % des Québécois refusent le processus de séparation du Québec, et que 40 % manifestent leur volonté de sortir du Canada.

Un premier cycle constitutionnel d’affirmation se conclut.

En 1982, le rapatriement de la Constitution se fait sans l’adhésion du Québec, la Loi constitutionnelle refusant notamment de reconnaître la société québécoise distincte, la Nation québécoise.

Cet événement consacre l’éloignement entre les interprétations du sens de notre fédération au Canada français et au Canada anglais, commencé dans les années 1930.

Il s’agit là d’une brisure qui a laissé une marque très importante.

Elle a rapidement donné lieu à un deuxième cycle constitutionnel, qu’on pourrait qualifier de « cycle de la réparation », alors que des tentatives sont menées pour corriger le tir.

Dès 1987, l’accord du lac Meech est négocié. Il échoue finalement en 1990.

L’échec de cet accord marquera les esprits. Le politologue québécois Guy Laforest a exprimé ce sentiment de rejet en parlant d’un exil intérieur de la Nation québécoise :

Je le cite :

« […] un exilé de l’intérieur, c’est quelqu’un qui se sent inconfortable, qui vit comme un étranger au sein de son propre pays » (Fin de la citation)

En 1992, l’entente de Charlottetown est proposée, et aussitôt rejetée.

Après l’échec de ces deux tentatives de règlement constitutionnel, les Québécois sont à nouveau invités, en 1995, à se prononcer sur la séparation.

Les Québécois répondent « non » et « oui » à 50-50. Tous perdent; personne ne gagne; c’est le début d’un cycle de silence.

Depuis lors, le Gouvernement du Québec a cherché à ce que ses revendications constitutionnelles soient prises en considération, mais sans avoir recours à des négociations constitutionnelles multilatérales formelles.

Ce changement de stratégie a permis que des principes qui sous-tendaient l’accord du lac Meech soient intégrés plus ou moins formellement sur les plans administratif ou juridique.

Ajoutons que dans la même période, la Cour suprême du Canada a offert une interprétation de notre fédération plus conforme avec la théorie du pacte et la présence d’une Nation québécoise.

À plusieurs reprises, la Cour a rendu des décisions qui reconnaissent le caractère spécifique du Québec, notamment ses valeurs sociales et sa tradition juridique civiliste.

En 1991, une entente bilatérale avec le gouvernement fédéral reconnaît au Gouvernement du Québec un rôle prépondérant en matière d’immigration.

La mise en œuvre de l’asymétrie a guidé la signature d’ententes administratives bilatérales dans d’autres domaines. En matière de financement de la santé, par exemple, des ententes asymétriques ont été convenues entre le gouvernement fédéral et le Québec en 2004 et en 2017.

En 2006, la Chambre des communes a officiellement reconnu la Nation québécoise.

Mais cette nation, le Canada tarde toujours à l’accueillir et à l’accepter formellement dans un texte constitutionnel.

Cela aurait bien sûr valeur de symbole. Et ce symbole aurait une importance fondamentale,  notamment pour susciter et élargir un désir d’implication volontaire des Québécois dans la fédération canadienne.

Mais bien au-delà du symbolisme, une reconnaissance formelle de la Nation québécoise entrainerait la clarification de processus pour le respect desquels nous n’aurions plus à nous battre chaque fois.

Vous comprendrez que le Gouvernement du Québec maintient ses demandes constitutionnelles.

Le Québec reconnaît par ailleurs que ses demandes ne se concrétiseront que lorsqu’elles seront mieux comprises.

Lorsque les Québécois et les autres Canadiens se seront suffisamment rapprochés et que se développera entre eux une confiance nouvelle découlant d’une meilleure compréhension réciproque.

Il faut sortir de la psychose de la crise pour ouvrir un avenir de relations canadiennes plus propice au progrès et à un meilleur vivre-ensemble.

C’est pourquoi notre Gouvernement a décidé de relancer la conversation avec la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes.

Nous avions une expression pour accompagner le long cycle du silence entourant l’avenir de la Nation québécoise : « le fruit n’est pas mûr ».

Avec notre politique d’affirmation et de relations canadiennes, nous avons décidé de relancer le dialogue; nous avons décrété l’arrivée du printemps.

Nous proposons une nouvelle démarche, celle du dialogue – entre acteurs politiques, certes, mais aussi et surtout avec et entre les citoyens et la société civile.

Notre démarche reconnait que l’époque où les changements constitutionnels fondamentaux pour le pays se discutaient exclusivement entre premiers ministres, derrière des portes closes, appartient au passé.

Cela peut s’avérer une évidence pour plusieurs d’entre vous, mais c’est en fait une approche assez novatrice au Canada.

Nous nous efforçons ainsi à initier un dialogue élargi à l’ensemble des acteurs concernés, ce qui inclut les citoyens eux-mêmes.

La confiance mutuelle qui serait ainsi favorisée entre les Canadiens pourrait même servir de rempart au discours populiste qui apparaît parfois, et qui augmente les divisions entre les citoyens des différentes régions du Canada.

La Constitution est un contrat fondamental qui doit traduire une volonté de vivre ensemble. Les modifications constitutionnelles doivent donc passer par un désir, par une volonté commune qui ne peut apparaître sans un dialogue élargi dans la société civile.

Il s’agit d’une étape incontournable de toute entreprise de refondation de notre système fédéral.

Ce dialogue doit permettre de prendre acte des changements profonds qui ont transformé le Québec et le Canada depuis 50 ans et de raffermir un lien de confiance qui a été mis à rude épreuve au cours des dernières décennies.

Il doit également permettre aux Canadiens de forger ensemble une vision du fédéralisme qui est inclusive et respectueuse des identités collectives et nationales.

C’est pourquoi notre Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes met de l’avant un dialogue pas seulement pour, ou sur, le Québec.

Les différentes composantes de la société canadienne ont toutes une histoire particulière à raconter. Elles ont aussi une histoire commune à écrire ensemble.

Lorsque les Premières Nations et les Inuits partagent leurs aspirations;

Lorsque les provinces de l’Ouest expriment leur sentiment d’aliénation;

nous devons les écouter et chercher à les comprendre.

Lorsque les Québécois expriment leur sentiment de ne pas être complètement acceptés et reconnus au sein de la fédération, nous souhaitons aussi que les autres Canadiens nous écoutent et essaient de nous comprendre.

On peut bien refuser d’en discuter sous prétexte que de les considérer pourrait faire émerger des tensions. Mais on ne ferait que reporter les problèmes dans le temps et nous affaiblir collectivement.

Le premier ministre du Canada a déclaré que le rapprochement auquel nous invitons les Canadiens est inutile puisque « tout n’est pas à la veille de briser » dans la fédération.

L’absence de crise est bien pourtant la raison pour laquelle notre proposition arrive au bon moment1.

Dans une lettre ouverte portant sur les demandes du Québec, quatre figures ontariennes ayant joué un rôle majeur dans l’évolution de la pensée fédérale canadienne, Ian Macdonald, Gary Posen, Charles Beer et Don Stevenson, ont récemment écrit la chose suivante :

« Comme [la Politique d'affirmation du Québec et de relations canadiennes] le propose, nous sommes d'avis que le Québec peut faire comprendre et avancer ses demandes au sein de la fédération canadienne par le dialogue et le rapprochement.

(…) Le dialogue proposé par le [Gouvernement du Québec] a commencé, non pas à la suite d'une crise, mais sous l'égide de la confiance. »2 (Fin de la citation)

Un dialogue serein sur notre avenir collectif est non seulement possible, il est aussi nécessaire.

Qui peut nier aujourd’hui que nous devons chercher à mieux nous comprendre?

À l’heure où on se parle, un citoyen de l’Alberta ou de la Colombie-Britannique le dirait avec encore plus de force qu’un Québécois.

Un politologue de l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, mentionnait récemment qu’il existe de nombreuses études comparant le Canada et les États-Unis, mais qu’il en existe peu comparant les provinces entre elles.

Il concluait alors que les Canadiens ne se connaissent pas très bien entre eux.

Selon un sondage mené en 2014 par l’Institut Environics, à peu près partout, les Canadiens perçoivent qu’ils sont moins favorisés que ceux d’autres régions3.

Région

Régions perçues comme les plus favorisées par le gouvernement fédéral

Atlantique

Alberta (35%)

Ontario (34%)

Québec (19%)

Québec

Alberta (41%)

Ontario (27%)

Québec (12%)

Ontario

Ontario (31%)

Québec (26%)

Alberta (26%)

Manitoba et Saskatchewan

Ontario (41%)

Québec (31%)

Alberta (14%)

Alberta

Québec (41%)

Ontario (38%)

Alberta (16%)

Colombie-Brit

Ontario (49%)

Québec (23%)

Alberta (13%)

Cette méconnaissance, le Québec espère contribuer à y répondre.

Je vois mal comment il est possible d’envisager un avenir prometteur à notre vivre-ensemble canadien avec une fédération où tous se sentent perdants.

La Politique

Notre politique vise surtout, dans son volet « relations canadiennes »,à engager avec tous les Canadiens un dialogue significatif sur le Canada de demain.

Dans la foulée du lancement de la Politique, j’ai eu l’opportunité d’amorcer ce dialogue, et ce, devant différentes tribunes politiques, universitaires et publiques.

J’ai été ravi de constater qu’il y a un intérêt grandissant pour le dialogue proposé par le Québec.

Moins d’un an après avoir été dévoilée, la Politique fait déjà partie du curriculum de nombreux cours universitaires à travers le Canada.

Le professeur et ex-directeur du droit constitutionnel de la Saskatchewan, John Whyte, que j’ai rencontré en novembre, a écrit récemment une lettre ouverte autour de la démarche du Québec.

Je le cite particulièrement, car ce qu’il écrit est l’écho de ce que nous entendons partout dans les cercles universitaires.

Il a écrit :

« TRADUCTION : adopter des idées qui préservent le caractère distinct du Québec n’affaiblira probablement pas le Canada.

« Le Canada doit avoir le courage d’explorer les structures et les règles régissant nos relations, pour permettre à toutes les régions de cette nation complexe d’être confiantes que leurs particularités seront reconnues. »

(Traduction - Fin de la citation)

D’autres professeurs que j’ai rencontrés ont également reconnu l’importance du dialogue et vanté les mérites de l’asymétrie.

En effet, l’adoption de mesures asymétriques permet de réduire les confrontations contre-productives, et facilite l’adhésion aux projets communs.

Elle permet d’atteindre une égalité réelle et d’assurer le progrès de la fédération, dans le respect des compétences et des aspirations collectives.

Les appartenances plurielles et communes

Je l’ai mentionné plus tôt : pour le Québec, le Canada n’est ni un État mononational ni un État post-national.

Le Canada est un État plurinational. Il l’a toujours été.

Aujourd’hui encore, le Québec maintient cette vision de la fédération canadienne qui respecte la diversité des appartenances.

Notre vision est aussi celle d’un fédéralisme qui se fonde sur le consentement, le respect du partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement et le respect des spécificités des composantes de la fédération.

La Nation québécoise est spécifique. Elle est aussi inclusive et plurielle.

Elle est composée d’une majorité francophone, d’une communauté d’expression anglaise qui dispose de droits et prérogatives qui lui sont propres, et elle reconnaît onze nations autochtones réparties à travers le Québec. La Nation québécoise est aussi forte d’une grande diversité culturelle.

Cette spécificité du Québec entraîne des responsabilités particulières de l’État québécois dans les domaines liés à son identité de même que dans les secteurs de compétence que lui reconnaît la Constitution.

C’est dans ce contexte que le Québec a toujours veillé et agi de manière à préserver sa capacité à élaborer et à mettre en œuvre des politiques, programmes et interventions qui répondent aux besoins spécifiques de sa société.

C’est entre autres le cas en matière de gestion de l’immigration.

Pour préserver son caractère bien spécifique qu’elle souhaite cultiver et partager, la Nation québécoise a fait le choix de l’interculturalisme.

L’interculturalisme vise à assurer l’équilibre entre l’ouverture à la diversité et le maintien du caractère distinct de la Nation québécoise. C’est une approche du vivre-ensemble unique au Canada, qui repose sur un principe de réciprocité.

En d’autres termes, l’interculturalisme québécois repose dans un premier temps sur 400 ans d’histoire d’un peuple fier de ses racines et sur une langue française majoritaire qu’on souhaite préserver, partager et transmettre aux futures générations.

En même temps, l’interculturalisme reconnaît que notre identité est dynamique, en mouvement, et qu’elle évolue grâce aux apports des personnes de diverses origines, dont les identités multiples doivent être reconnues et respectées.

Plus largement, à travers ses politiques, la société plurielle et inclusive du Québec cherche à renforcer le sentiment d’appartenance à la Nation québécoise de chaque membre et de chaque groupe du Québec, dans le respect de leurs spécificités.

Nous savons que pour accomplir cet objectif, nous avons encore beaucoup de travail à faire. Mais nous savons aussi que la reconnaissance des différentes appartenances collectives est le seul moyen de développer une appartenance commune.

Cette volonté d’inclusion est aussi ce que les Québécois attendent du Canada.

Les Québécois ressentent une allégeance à la Nation québécoise, réelle et forte.

Cela dit, pour une majorité de Québécois — 75 % — cette allégeance se conjugue aussi avec une appartenance canadienne.

Un récent sondage mené en mars dernier nous révélait même que 80 % des Québécois se disent fiers d’être Canadiens4.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Nous n’avons pas à choisir entre être Québécois ou être Canadiens. Nous sommes les deux. Nous voulons être les deux.

Cette vision s’inscrit dans l’histoire, mais aussi dans un courant de pensée politique qui voit dans le fédéralisme un mode optimal pour gérer le vivre-ensemble de différentes communautés au sein d’un seul État.

Dans notre quête d’une reconnaissance partagée, réelle et officielle, nous ne sommes pas les seuls. La place des peuples autochtones dans notre fédération serait bien différente si le Canada devait être fondé aujourd’hui.

On se rappellera que la Loi constitutionnelle de 1867 a été rédigée sans l’apport des peuples autochtones.

Ce n’est que dans la Loi constitutionnelle de 1982, à l’article 35, que les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont officiellement reconnus.

En dépit du cadre imposé par la Loi sur les Indiens, le gouvernement du Québec favorise une plus grande autonomie des communautés autochtones.

Cette ouverture se concrétise par la conclusion d’ententes, notamment dans des secteurs qui relèvent de sa compétence, comme la santé et les services sociaux, l’éducation, la sécurité publique, la justice et le territoire5.

En 1975, le Gouvernement du Québec signe la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

En 2002, les Cris et le Québec conviennent d’une meilleure relation connue sous le nom de « Paix des braves ».

En 2013, le gouvernement régional Eeyou-Istchee-Baie-James est mis en place.

En 2017, les modifications apportées au Code civil du Québec ainsi qu’à la Loi sur la protection de la jeunesse ont permis de reconnaître l’adoption coutumière et de privilégier le recours à des familles d’accueil au sein des communautés autochtones.

Enfin, l’annonce le 29 janvier dernier d’une première entente de collaboration historique entre le Gouvernement du Québec et le Conseil de la Nation atikamekw, permet à ce dernier d’établir un régime particulier de protection de la jeunesse, dans le respect des réalités et des valeurs autochtones atikamekw.

Rien n’est parfait et les blessures de l’histoire sont longues à guérir.

Mais le Gouvernement du Québec croit sincèrement que l’on doit redoubler d’efforts pour voir émerger un sentiment d’appartenance au Québec chez les Premières Nations et les Inuits qui habitent le territoire.

La reconnaissance et l’acceptation des appartenances collectives, notamment celles des Québécois et des peuples autochtones, sont la seule voie pouvant mener à une appartenance commune au Canada.

Ceci fait partie intégrante de la déclaration d’affirmation contenue dans la Politique.

Nos bases historiques sont certes différentes de celles des peuples autochtones, mais nous nous rejoignons sur l’importance de faire reconnaître nos identités collectives.  

Permettez-moi de partager avec vous un extrait du plus récent livre du politologue Peter Russell, de l’Université de Toronto : Canada’s Odyssey – A country based on incomplete conquests. Russell y présente le Canada comme étant constitué de trois piliers historiques : anglais, français et autochtone.

Et je cite :

« Traduction : Comme pays ou comme société, le Canada sera peut-être toujours un projet politique à parachever. Nous faisons les plus grandes avancées en matière de vivre-ensemble lorsque nous apprenons à mieux connaitre ceux que nous concevons comme étant “l’autre” — c’est-à-dire les Canadiens ne faisant pas partie de notre propre pilier. »

« Ce que nous avons appris sur le vivre-ensemble pourrait être utile pour l’humanité entière.  Un Canada multinational et multiculturel pourrait ainsi offrir une orientation pour l’avenir plus utile aux peuples de la planète que le modèle de l’État-nation. »

Il conclut en disant :

« Le modèle canadien pourrait remplacer ceux de l’empire et de l’État-nation, et devenir le modèle le plus intéressant du vingt-et-unième siècle. »

Peter Russell a publié ce livre presqu’au même moment où nous avons rendu publique notre Politique d’affirmation et de relations canadiennes.

Qu’est-ce qu’il nous dit ?

Il nous dit que le Canada n’est ni un État mono-national, ni un État post-national. Qu’il est plurinational.

Que l’ADN du Canada, c’est sa diversité : sa diversité collective et sa diversité individuelle.

Qu’un tel modèle d’État, qui reconnaît et accepte la diversité collective et les appartenances plurielles, a probablement plus à offrir que celui de l’État-Nation.

Je ne saurais dire si les propos de Russell sont un écho à notre Politique, ou si c’est notre Politique qui fait écho aux siens.

Mais ce que je sais, c’est que le dialogue auquel le Québec convie les autres Canadiens est possible, je dirais même qu’il est déjà engagé.

Le dialogue, une nécessité dans une fédération et une source de solidarité

Les gouvernements doivent bien sûr prendre activement part à ce dialogue. Mais les acteurs de la société civile doivent eux aussi y participer — l’avenir du pays appartient après tout à l’ensemble des Canadiens, et non pas uniquement aux parlementaires ou aux membres du gouvernement.  

Je devrais ajouter que les dirigeants politiques actuels appartiennent à la génération de ceux qui ont connu et vécu avec acuité les durs débats constitutionnels des années 70 et 80.

La parole et les gestes des citoyens, surtout de ceux des générations qui nous suivent, apportera sans doute un souffle nouveau et entrainera un changement de perception et d’orientation dans la classe politique.

Ce sont les jeunes qui feront le 21e siècle dont parle Peter Russell.

Ce dialogue permettra sans doute de nous découvrir plus unis que nous le croyons.

Souvent illustrées comme deux solitudes, les relations que nous avons, Québécois et autres Canadiens, sont nombreuses, diversifiées et bien enracinées.

Dans mes tournées au Canada, je me fais un point d’honneur de les rappeler.

Les échanges commerciaux du Québec avec les autres provinces canadiennes atteignent presque le niveau de ceux que nous avons avec les États-Unis, dont la population est pourtant dix fois plus nombreuse6 !

Nous échangeons plus de biens chaque année avec le Nouveau-Brunswick qu’avec la France. Il y a 750 000 citoyens7 au Nouveau-Brunswick et plus de 60 millions en France 8!

Avec la province de l’Ontario, nous échangeons plus de biens chaque année qu’avec l’Union européenne entière !

Chaque jour, des milliers de Québécois et de Canadiens ailleurs au pays collaborent, échangent, discutent et travaillent ainsi ensemble. 

Nous avons avantage à redécouvrir ces solidarités. Surtout au moment où notre partenaire au sud semble prendre ses distances.

Nous voulons faire connaître ces collaborations et les multiplier.

En matière environnementale, portés par des groupes et des spécialistes universitaires, l’Ontario et le Québec ont agi ensemble comme des catalyseurs de changements sur la scène canadienne.

Nos marchés du carbone sont aujourd’hui liés entre eux et avec celui de la Californie, et forment ensemble le plus grand marché de ce type en Amérique du Nord.

La lutte contre les changements climatiques est l’un des nombreux enjeux qui dépassent aujourd’hui les frontières étatiques. Bien avant que les gouvernements le fassent, les citoyens des différentes provinces canadiennes créaient des liens entre eux pour faire face à ce défi.

Une illustration de cette influence citoyenne pancanadienne sur les politiques publiques se résume dans cette photo, prise en novembre 2015, au lancement du plan de lutte contre les changements climatiques de l’Alberta9, où l’on aperçoit sur la scène, aux côtés de la première ministre Notley, un Québécois bien connu : Steven Guilbeault d’Équiterre.

Même si on l’oublie, il faut reconnaître que les solidarités sont nombreuses entre les Québécois et les autres Canadiens, et dans de nombreux domaines.

À travers notre politique, nous souhaitons encourager les groupes sociaux et syndicaux, les chefs d’entreprise, les groupes environnementaux, les artistes ainsi que les chercheurs du Québec à redécouvrir ou à intensifier leurs échanges avec ceux qui, ailleurs au Canada, partagent le même désir d’appuyer les plus vulnérables, de créer des emplois, de répondre aux défis soulevés par les changements climatiques, d’émouvoir et d’innover.

Nous voulons plus d’échanges entre les jeunes, les universitaires, les entrepreneurs et même les fonctionnaires.

Nous soutenons financièrement la recherche scientifique sur les relations canadiennes. Nous allons y investir encore davantage.

Nous allons aussi mettre sur pied un programme d’aide aux relations canadiennes pour soutenir les projets de dialogue et de relations entre citoyens et organismes des sociétés civiles québécoise et canadienne.

Je profite d’ailleurs de ma présence à Bruxelles pour effectuer plusieurs rencontres visant à connaître les meilleurs pratiques en matière de dialogue citoyen dans l’Union européenne.

Nous sommes persuadés que le dialogue et les liens de solidarité que nous développons constituent la voie de notre progrès.

Il faut retrouver la confiance nécessaire pour bâtir la fédération canadienne à notre image ; à nos images au pluriel : à l’image du Québec, à celle des peuples autochtones, à celle de l’Ontario, celle des provinces de l’Ouest et des Prairies, et celles de l’Atlantique et du Nord.

La Politique marque un changement. Elle reconnaît que les modifications constitutionnelles ne seront possibles que lorsque les Québécois et les autres Canadiens se seront davantage rapprochés et compris.

Nous sommes convaincus qu’avec le temps, quand les citoyens du Québec et ceux d’ailleurs au Canada aurons appris à mieux se connaître et à se faire confiance, ils seront en mesure de mieux se reconnaître.

Et un jour, lorsque nous nous rencontrerons à nouveau pour discuter de la Constitution, nous ne serons pas assis chacun de notre côté de la table à nous entredéchirer.

Nous serons tous assis ensemble, du même côté de cette table.

Parce que nous nous connaîtrons mieux, nous nous comprendrons mieux et nous nous accepterons pour ce que nous sommes.

Conclusion : une invitation à participer au dialogue

Je vous ai présenté comment la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes est bien plus qu’un document constitutionnel.

Elle est aussi, et surtout, une politique de rapprochement, de solidarité et de vivre-ensemble.

Après 25 longues années de tabou et de silence sur nos relations canadiennes, nous avons choisi de nous affirmer, de nous exprimer.

C’est le temps du dégel.

Nous voulons construire un Canada où il y a une place pour tous.

Dans un monde inquiet, tenté par l’isolationnisme et le repli identitaire, les Québécois et tous les Canadiens, animés par une vision inclusive, ont l’occasion de se retrouver pour partager et réaliser l’ambition de rapprocher leurs appartenances plurielles plutôt que de les opposer.

C’est un projet pour les Québécois; Pour les peuples autochtones; Pour les nouveaux Canadiens; Pour ceux dont les parents et les ancêtres y ont immigré au cours de 400 dernières années;

C’est un projet pour tous les Canadiens.

Ce projet humain emballant est en même temps un défi imposant. Je me suis d’ailleurs rendu ici, à Bruxelles, afin de me nourrir de vos idées, de m’inspirer de vos expériences et de vos réflexions pour la poursuite de sa mise en oeuvre.

Je vous laisse en vous demandant de persévérer dans vos recherches pour nous aider à mieux vivre ensemble, et en vous demandant de prendre la place qui vous revient dans l’opinion publique.

Nous avons plus besoin de « real facts » que de « fake news ».

Merci

1 « Si on était dans un moment où on pourrait pointer quelque chose dans la Constitution et dire : à cause de ceci ou cela, on ne fonctionne pas en tant que pays, tout est à la veille de briser, là je dirais : “Ah, peut-être qu’on devra avoir des conversations là-dessus” », a-t-il déclaré lors de l’assemblée publique jeudi soir. « Mais, si ce n’est qu’à des fins politiques, du symbolisme, pour toutes sortes de bonnes raisons, [mais sans] but précis et urgent, je préfère ne pas embarquer. » Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. https://www.ledevoir.com/politique/canada/517958/trudeau-rencontre-labeaume-a-quebec

2 Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. https://quebec.huffingtonpost.ca/don-stevenson/quebecois-notre-facon-d-etre-canadiens-sous-legide-de-la-confiance_a_23371228/  (26 février 2018)

3 Le Cœur des Québécois, p. 151-152

4 Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. https://quebec.huffingtonpost.ca/2018/03/19/sondage-leger-les-quebecois-sont-ils-fiers-d-etre-canadiens_a_23388879/

5 Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. http://www.autochtones.gouv.qc.ca/publications_documentation/publications/document-11-nations-2e-edition.pdf, p. 9.

6 Les échanges commerciaux de marchandises entre le Québec et les États-Unis, en 2013 étaient de 76 323,5 millions de dollars canadiens Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. https://www.economie.gouv.qc.ca/objectifs/informer/par-pays/amerique/page/economie-et-commerce-21753/?tx_igaffichagepages_pi1[mode]=single&tx_igaffichagepages_pi1[backPid]=14791&tx_igaffichagepages_pi1[currentCat]=&cHash=ab3ce53684dbe9a4af3b33e2390e0e96 Les échanges commerciaux de marchandises entre le Québec et les partenaires de la fédération canadienne, en 2013, étaient de 63 455,5 millions de dollars canadiens (importation interprovinciale [28 419] + exportation interprovinciale [35 036,5].

7 Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comparaisons-economiques/interprovinciales/tableau-statistique-canadien.html

8 Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3305173?sommaire=1912926

9 Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. http://www.lapresse.ca/environnement/climat/201511/23/01-4923760-lalberta-veut-devenir-leader-de-lindustrie-verte.php