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Le 2 mai 2000 « Le côté obscur de C-20 ou ce que le discours fédéral ne dit pas »

La version prononcée fait foi.

Allocution de M. Joseph Facal

Seul le texte prononcé fait foi

Merci monsieur Toupin,
Distingués invités,

Je vous remercie toutes et tous pour votre accueil. Votre présence ici m'honore.

Ce n'est pas tous les jours qu'un ministre du gouvernement du Québec a la chance de s'adresser au Cercle national des journalistes d'Ottawa. Le propos doit donc être choisi judicieusement. Ce fut certes difficile car les raisons justifiant la dénonciation du gouvernement fédéral sont légion.

Union sociale sans le Québec, tentative de contrôle par Ottawa du secteur de la santé, absence totale de souplesse pour ce qui est des modifications législatives touchant les jeunes contrevenants, refus de négocier des arrangements particuliers dans le cadre de sa politique familiale, voilà autant de sujets d'actualité dont j'aurais pu vous entretenir.

Le dernier voyage de M. Chrétien au Moyen-Orient, qu'il a lui-même qualifié de succès total, aurait pu également m'inspirer. Mon allocution aurait peut-être pu s'intituler : « Le Québec, la Palestine et la question de la déclaration unilatérale de souveraineté : cohérence et crédibilité » (« Québec, Palestine and the question of UDI: coherenceand credibility »).

Mais je m'en voudrais de m'ingérer davantage dans la fine stratégie diplomatique du Premier ministre fédéral, déjà abondamment analysée et décortiquée par les médias.

Puisque nous sommes au pays de C-20 , il m'est apparu important de vous entretenir, non pas des douces illusions que le gouvernement fédéral nourrit au Canada anglais voulant que C-20 ait anéanti le mouvement souverainiste, mais plutôt de vous parler de ce que j'appellerais le côté obscur de C-20, occulté par la rhétorique fédérale mais qui viendra à terme hanter le gouvernement d'Ottawa.

Soyons clairs, je mets en garde immédiatement tous ceux qui voudraient voir dans mon propos une quelconque forme de bienveillance à l'égard de C-20. Cette loi est et demeurera inacceptable au Québec. Le gouvernement du Québec ne lui reconnaît aucune légitimité, aucune portée, et la juge nulle et non avenue pour des raisons que le Premier ministre Bouchard et moi-même avons exposées à plusieurs reprises.

Vous savez aussi que pour l'actuel gouvernement fédéral, tout changement de statut constitutionnel d'une province doit se faire par le truchement de la formule d'amendement contenue dans la Constitution canadienne de 1982. Or, le reste du Canada a choisi en 1982 de changer unilatéralement le pacte qui l'unissait au Québec depuis plus d'un siècle. Il ne peut donc s'attendre à ce que celui-ci s'estime lié par ce nouveau contrat, que tous les gouvernements du Québec depuis ont refusé de signer, a fortiori par les règles de modification constitutionnelle qui le gouvernent.

La question que je veux aujourd'hui vous soumettre est plutôt celle-ci : est-il possible que C-20, tout comme le rapatriement unilatéral de 1982, soit une erreur grave dont on mesure mal pour le moment les impacts? Bien sûr, l'apparente indifférence des Québécois conforte pour l'instant les tenants de la ligne dure et permet un ralliement conjoncturel de ceux de qui on attendait une dissidence. Mais si ce n'était là qu'une vision à courte vue? Et si C-20 avait vraiment des conséquences insoupçonnées?

Prenons un peu de recul.

C-20 consacre la divisibilité du Canada

Une première admission fondamentale émerge de C-20. On y trouve la reconnaissance par le gouvernement fédéral, et surtout par le parlement fédéral, que le Canada est une fédération qui peut être démantelée.

Bien sûr, C-20 tente de poser des exigences relatives à la clarté de la question et du résultat. Dans la vraie vie, ces conditions ne résisteront pas à l'expression de la volonté populaire. Elles céderont rapidement le pas en regard de l'essentiel: le droit interne canadien convient désormais qu'une entité provinciale peut se détacher de la fédération.

Mais en vous disant cela je ne vous apprends rien de nouveau. Cet aspect pervers de C-20 fut soulevé au Canada anglais.

C-20 consacre le fait que seules les provinces aient le droit de faire sécession

Il y a plus. Une lecture minutieuse de C-20 fait apparaître une contradiction qui prend à contre-pied un volet important de l'argumentation fédéraliste.

En effet, comme je viens de le dire, la loi fédérale consacre la divisibilité du Canada. Or, la mécanique mise en place et préconisée par C-20 ne peut être utilisée que par une entité provinciale, pas par une nation autochtone, un conseil municipal ou encore un quartier de Ville de Laval comme le préconisent les partitionnistes.

Ainsi, le parlement canadien a lui-même établi une distinction législative entre ceux qui ont le droit de diviser le Canada et ceux qui n'en ont pas le droit. C'est ce qu'énonçait d'ailleurs l'Avis de la Cour suprême à son paragraphe 83, et je cite : « Dans le cas d'un État fédéral la sécession signifie normalement le détachement d'une entité territoriale de la fédération. » Inévitablement, C-20 ne pouvait que refléter la différence réelle qui existe entre un droit à l'autonomie interne et l'accession d'un État à la souveraineté. Admission de taille.

Il va sans dire que le sophisme préféré de Monsieur Dion, « Si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi », se trouve contredit par son propre projet de loi.

C-20 consacre la mauvaise foi du gouvernement fédéral

Continuons. La récente polémique soulevée au Moyen-Orient par M. Chrétien concernant le recours par le peuple palestinien à une déclaration unilatérale d'indépendance va bien au-delà de la simple anecdote.

Elle illustre à elle seule l'ampleur de l'effet boomerang de l'Avis de la Cour suprême du Canada. Car, comprenons-nous bien, la Cour suprême a bel et bien évoqué les circonstances dans lesquelles le Québec pourrait recourir à une déclaration unilatérale d'indépendance, c'est-à-dire en cas de mauvaise foi du reste du Canada dans les négociations. N'est-ce pas là ce que Monsieur Chrétien a suggéré aux Palestiniens?

Il découle de ceci qu'un des enjeux de la reconnaissance d'un Québec souverain se jouera sur le front de la bonne foi des parties dans les négociations qui suivront le référendum.

Or, alors que le projet du gouvernement du Québec sera de proposer à ses concitoyens de faire du Québec un pays souverain qui maintiendra des liens étroits avec le reste du Canada, le tout sur la base de négociations tenues entre gens responsables, civilisés, aux intérêts mutuels bien compris et dans le respect des droits des minorités, le gouvernement du Canada, lui, tentera de répliquer avec sa loi C-20.

Une loi qui, à sa face même, constitue une réécriture grossière de l'Avis de la Cour suprême. Une loi qui instaure l'arbitraire le plus absolu en remettant en cause la règle démocratique et universellement reconnue du 50% + 1. Une loi qui vise à conférer, en tout respect, un droit de veto à l'Île-du-Prince-Édouard sur l'avenir politique du Québec. Une loi qui impose une constitution à un peuple qui refuse toujours de reconnaître la légitimité de celle-ci. Une loi qui nécessite que l'on requière l'avis sur la clarté de la question de qui l'on voudra, sans l'identifier d'avance, sans tenir compte de l'opinion de ceux qui votent. Une loi qui décrète péremptoirement cette absurdité voulant que toute question impliquant une proposition d'association soit non-claire alors que le Canada s'est empressé, en 1991, de reconnaître les souverainetés de la Croatie et de la Macédoine, déclarées après des référendums portant sur des questions à deux volets.

Alors qu'il devra faire preuve de bonne foi devant la communauté internationale, le gouvernement fédéral s'est doté d'une loi qui ne respecte pas la pratique des Nations-Unies en matière de référendums et qui hypothéquera d'emblée sa crédibilité à la face du monde.

Vous êtes donc en mesure de saisir le paradoxe de C-20. Plus le gouvernement fédéral voudra en faire jouer les mécanismes, plus il s'éloignera de son obligation de bonne foi. Plus il s'éloignera de son obligation de bonne foi, plus il minimisera la portée réelle de C-20.

Cercle plus que vicieux que celui-là.

C-20 aura un effet mobilisateur au début de la campagne référendaire

Le chef du Bloc québécois a mis en évidence un autre risque important de C-20 pour les forces fédéralistes: le ressac probable qu'il provoquera lorsque le gouvernement fédéral tentera d'en mettre en œuvre les mécanismes.

Projetons-nous dans le futur. Le gouvernement québécois saisit l'Assemblée nationale d'une question référendaire proposant la souveraineté assortie d'une offre de partenariat. Le débat s'engage au parlement de Québec. Simultanément, la Chambre des communes amorce son débat, offrant aux Québécoises et aux Québécois le spectacle quotidien de parlementaires, dont les trois quarts sont issus de l'extérieur du Québec, discourant sur ce qui est clair ou non, en lieu et place des Québécois et des Québécoises.

Imaginons un de ces députés bien connus pour leur amour du Québec, ceci dit en tout respect bien sûr, expliquant aux nouvelles de dix-huit heures que le parlement fédéral refuse de considérer claire une question que les électeurs du Québec, eux, estiment claire.

Imaginons le vote final aux Communes. Quel est le message envoyé aux Québécois et Québécoises? Qu'ils peuvent bien s'amuser mais qu'il est d'ores et déjà acquis que le reste du Canada considérera tout résultat comme nul et non avenu, peu importe le seuil de majorité?

Dans le genre antidémocratique difficile de faire mieux : en fait, c'est à peine plus subtil que le coup de la Brinks dans les années '70.

Envisageons maintenant une Assemblée nationale faisant consensus sur le libellé de la question soumise. Immédiatement, les souverainistes se retrouveraient face à un adversaire fédéraliste divisé, déchiré, tant aux Communes qu'au Québec. Sombre début de campagne référendaire pour les forces fédéralistes.

Et puis, les députés de l'Opposition officielle à Québec pourront-ils encore voter contre une éventuelle question référendaire sans risquer d'être associés à C-20?

C-20 aura un effet boomerang sur le gouvernement fédéral au lendemain d'un OUI

Maintenant, une fois la campagne référendaire terminée,C-20 prévoit qu'au lendemain d'un résultat référendaire favorable au OUI, la Chambre des Communes sera amenée à se prononcer sur la clarté de la majorité obtenue. Encore une fois, les forces fédéralistes se diviseront immédiatement, particulièrement aux Communes, entre pragmatiques et intransigeants, entre colombes et faucons.

Confronté aux illusions engendrées par C-20 chez un segment important de la population canadienne, voilà que le gouvernement fédéral se verra obligé d'expliquer qu'il ne peut impunément renier une règle aussi universellement reconnue que celle du 50 % + 1; qu'il lui est impossible, sous peine de se voir comparé à l'ex-Union soviétique, d'exiger une majorité autre que la majorité simple; que, s'il cédait à cette tentation, il encourrait l'opprobre internationale et faciliterait la reconnaissance de facto du Québec et, du même souffle, anéantirait son propre pouvoir de négociation; et tout cela, bien sûr, sans compter qu'il agirait à l'encontre de l'Avis de sa propre Cour suprême, qui n'a, à aucun moment, rejeté l'application de la règle du 50 % + 1.

C-20 fournit des arguments inespérés aux bloquistes pour la prochaine campagne référendaire

Je vous ai énoncé quelques-unes des conséquences cachées de C-20 dans un contexte référendaire.

Mais à plus court terme, la loi fédérale n'est pas non plus sans impact. Certes, comme on dit chez nous, « les gens ne se battent pas dans les autobus », mais cela ne veut pas dire qu'ils approuvent pour autant. Peut-être est-ce simplement parce qu'il n'y a pas d'échéances référendaires ou électorales à l'horizon? Ce qui m'amène à la prochaine campagne électorale fédérale.

Évidemment, pas besoin non plus d'être grand clerc pour comprendre que C-20 fournira aussi des arguments chocs au Bloc québécois lors de la prochaine campagne électorale. Alors que C-20 est déjà largement décrié au Québec, le mouvement de désapprobation ne pourra que s'accroître. Si le gouvernement fédéral espère un jour voir les Québécois se rallier à C-20, il s'illusionne. Après un mois de campagne électorale, il ne se trouvera au Québec pour défendre publiquement C-20 que les 75 candidats du Parti libéral du Canada… et encore.

C-20 poursuivra tout successeur de Jean Chrétien qui était au Cabinet

Bien sûr, C-20 demeurera l'héritage de Jean Chrétien et de Stéphane Dion.

Cependant, les autres membres de ce gouvernement portent et porteront longtemps sur leurs épaules la lourde responsabilité de n'avoir pu, su ou voulu empêcher le Premier ministre fédéral d'aller de l'avant.

L'histoire politique canadienne et québécoise comporte de multiples exemples de ministres qui ont remis leur démission pour des questions de principe beaucoup moins fondamentales que cette tentative de mise en tutelle du peuple québécois. Ceux dans l'actuel cabinet fédéral qui aspirent à devenir premier ministre fédéral auront à s'expliquer sur leur silence auprès des Québécois.

Sans C-20, il n'y aurait pas eu de projet de loi 99

Et puis finalement, une autre conséquence surprenante et inattendue de C-20 n'est-elle pas le dépôt, par le gouvernement du Québec, du projet de loi 99?

Ce projet de loi, vous le savez, réaffirme les droits fondamentaux ainsi que les prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. Il prévoit que le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le statut politique et juridique du Québec et surtout, qu'aucun autre parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l'autorité, la souveraineté et la légitimité de l'Assemblée nationale, ni contraindre la volonté démocratique du peuple québécois à disposer lui-même de son avenir.

Alors que depuis 1995, la stratégie du gouvernement fédéral a visé, non seulement à légitimer la présence d'Ottawa au Québec, mais à tenter de l'imposer comme « premier » gouvernement des Québécois, tantôt de façon insidieuse par sa propagande, tantôt de façon directe par ses empiétements, le dépôt de C-20 aura eu comme conséquence de cristalliser les enjeux.

L'initiative fédérale est venue rappeler aux Québécois et Québécoises que, lorsqu'il est question de leur avenir comme peuple, seule l'Assemblée nationale est en mesure d'assurer la pérennité de leur droit de choisir librement et sans ingérence le statut politique et constitutionnel du Québec.

Bref, comme j'ai tenté de vous le montrer, le projet de loi C-20 contient aussi une face cachée que les ténors du gouvernement fédéral vous occultent sciemment, pris au piège de leur propre rhétorique.

La décision de référer à la Cour suprême la question éminemment politique de la souveraineté du Québec, telle un véritable chant des sirènes, a amené et continuera d'amener son lot d'amères désillusions pour le gouvernement fédéral. Le projet de loi C-20 en fera tout autant.

Quant au gouvernement du Québec, il a rappelé récemment lors de sa comparution devant le comité parlementaire chargé d'étudier le projet de loi C-20 que le 30 octobre 1995, 2 308 360 Québécois votèrent OUI et qu'il ne saurait être question que les 301 élus du parlement fédéral puissent décréter que ces mêmes Québécois n'avaient rien compris à la question.

C-20 ne peut occulter le mal canadien, ne réussira pas à dissimuler qu'il y a plus de Québécois qui ont voté OUI en 1995 qu'il n'y a d'électeurs en Saskatchewan, au Manitoba, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Édouard, tous réunis.

N'en déplaise au gouvernement fédéral, et à sa propagande, C-20 ne fera disparaître ni les souverainistes ni l'idée que le Québec devienne un jour un pays. Ce serait trop simple.

L'Assemblée nationale adoptera la question qu'elle voudra. Le peuple québécois décidera seul de sa clarté. L'option victorieuse sera celle qui franchira le seuil du 50 % + 1 des voix librement et validement exprimées.

C-20 n'y pourra rien.

Merci