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Ottawa, Ontario, 15 janvier 2018 Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes

La version prononcée fait foi.

Bonjour à tous,

J’aimerais d’abord remercier sincèrement votre professeur, Monsieur André Lecours, pour son invitation à venir m’adresser à vous dans le cadre de votre cours d’introduction à la politique canadienne.

J’aimerais d’entrée de jeu vous dire que la politique canadienne n’est pas que celle qui est décrite dans les médias.

Si on ne se fie qu’aux médias, on constatera beaucoup de conflits, de disputes, d’intérêts irréconciliables, parce que c’est de ça dont est faite l’actualité médiatique.

Les critiques face au programme de péréquation;
les visions contradictoires en matière d’environnement;
le sentiment des uns et des autres face aux projets de pipelines;
les réactions de ceux qui défendent Bombardier;
celles de ceux qui défendent Boeing…

La couverture médiatique donne assez généralement l’impression que personne ne s’entend au Canada.

Je vous donne un exemple récent.

En décembre, lors d’une conférence organisée par le Mowat Centre, à Toronto, nos premiers ministres Kathleen Wynne et Philippe Couillard sont venus échanger ensemble, devant public, sur leur vision du Canada de demain.

L’auditoire a d’ailleurs noté de manière unanime qu’il y avait une incroyable complicité entre ces deux chefs de gouvernement.

Ils ont partagé de manière tout à fait inspirante l’importance qu’ils accordent au maintien d’une relation franche, respectueuse et empreinte de confiance mutuelle et ce, en dépit des intérêts divergents qui sont le propre des relations humaines.

Le lendemain, dans les médias québécois, on ne relevait pratiquement que les points de désaccord entre les deux gouvernements : l’approche envers le salaire minimum, la taxe Netflix, et je m’arrête là.

Au-delà de cette image conflictuelle qui nous est trop souvent transmise, les solidarités sont nombreuses entre les Canadiens; entre les Québécois et les autres Canadiens.

Nous avons beaucoup en commun. Nous ne sommes pas que deux solitudes.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais contextualiser ma présentation en vous citant un extrait du plus récent livre de Peter Russell, de l’Université de Toronto : Canada’s Odyssey – A country based on incomplete conquests.

Et je cite :

« As a country or a society, Canada might always be a work in progress. We make the best progress in living well together when we learn more about those we see as “the other” - Canadians not in our own pillar.

(…) I do suggest in closing the book that what we have learned about living well together could be a value to all of humankind. Multinational, multicultural Canada might offer more useful guidance for what lies ahead of the peoples of this planet than the tidy model of the single-nation sovereign state.

Indeed, Canada might be more like a civilization than a nation-state. »

Il conclut en disant :

« Canada could replace empire and Nation Sate as the most attractive model in the twenty-first century. »

Peter Russell a publié ce livre presqu’au même moment où nous avons rendue publique notre politique d’affirmation.

Qu’est-ce qu’il nous dit?

Il nous dit que le Canada n’est ni un État mononational, ni un État postnational. Qu’il est multinational.

Que l’ADN du Canada, c’est sa diversité : sa diversité collective et sa diversité individuelle.

Il nous dit que le modèle de ces diversités et des appartenances plurielles reconnues et acceptées est probablement celui qui a le plus à offrir au monde à venir.

Je ne saurais dire s’il est un écho à notre Politique, ou si notre Politique fait écho à ses propos.

Mais ce que je sais, c’est que nous disons la même chose. À ceux qui se demandent si le dialogue auquel le Québec convie les autres Canadiens est possible, je dirais qu’il est déjà engagé.

Le cœur de notre Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, c’est de faire une place à tous. Pour que nous puissions, ensemble, façonner un espace commun.

Notre politique définit et nomme ce que nous sommes : une nation inclusive et plurielle.

Une nation composée d’une majorité francophone, forte de la contribution dynamique, historique et contemporaine de la communauté d’expression anglaise, désireuse de répondre aux aspirations des onze nations autochtones répartis sur le territoire, et riche de la diversité des personnes de toutes origines qui se joignent à elle.

Une nation qui possède par ailleurs ses propres institutions juridiques, politiques, culturelles, économiques, éducatives et sociales.

En somme, la Nation québécoise a un caractère bien spécifique qu’elle souhaite préserver, cultiver et partager.

Ainsi, nous cherchons à faire l’équilibre, d’une part, entre la continuité d’une identité collective intimement liée à l’histoire du Québec et à son caractère distinct et francophone, et, d’autre part, l’ouverture à l’enrichissement mutuel et collectif par la reconnaissance de la diversité et la valorisation du dialogue et du rapprochement interculturels.

Nous savons que pour accomplir cet objectif, encadré par la politique d’interculturalisme, nous avons encore beaucoup de travail à faire. Nous savons aussi que c’est la seule voie vers un Québec inclusif.

Cette volonté d’inclusion au Québec de notre diversité est aussi ce que les Québécois attendent du Canada.

Mais cette nation québécoise, le Canada tarde toujours à l’accueillir et à l’accepter formellement.

Les Québécois ressentent une allégeance à la Nation québécoise réelle et forte.

Pour une majorité de Québécois – 75 % –cette allégeance se conjugue aussi avec une appartenance canadienne.

Nous n’avons pas à choisir entre être Québécois ou être Canadiens. Nous sommes les deux. Nous voulons être les deux.

Dans notre quête d’une reconnaissance officielle, nous ne sommes pas seuls. La place des peuples autochtones dans notre fédération serait bien différente si le Canada devait être fondé aujourd’hui.

D’où l’importance du dialogue si l’on veut s’entendre sur la manière de concevoir le fédéralisme canadien de demain.

Le Politologue de l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, mentionnait récemment qu’il existait de nombreuses études comparant le Canada et les États-Unis, mais qu’il en existait peu comparant les provinces entre elles.

Il concluait alors que les Canadiens ne se connaissent pas très bien entre eux. Cette lacune, le Québec espère la combler.

Lorsque les Premières Nations et les Inuits partagent avec nous leurs aspirations, est-ce que nous nous arrêtons pour les écouter et les comprendre?

Lorsque les provinces de l’Ouest expriment leur sentiment d’aliénation, est-ce que nous les entendons? Est-ce que nous les comprenons? Est-ce que nous essayons du moins?

Lorsque les Québécois expriment leur sentiment de ne pas être complètement acceptés et reconnus au sein de la fédération, qui tente de les comprendre?

Et je sais que vous avez aussi en tête d’autres réalités canadiennes qui méritent une oreille attentive et une réponse.

Sommes-nous prêts à reconnaître ces réalités et à tenter de les comprendre?

Le dialogue est le premier outil à notre disposition pour ce faire.

Il y a une place au dialogue, pas seulement pour ou sur le Québec.

Nous avons chacun une histoire à raconter. Surtout, nous avons tous une histoire commune à écrire ensemble.

Toutes ces histoires peuvent s’intégrer harmonieusement dans la trame commune canadienne.

C’est ce que notre Politique propose : Écouter; Comprendre; Mettre en place des mécanismes et des espaces de dialogue et de solidarité.

Les liens qui rassemblent les Québécois et les autres Canadiens doivent reposer d’abord sur des relations de confiance et de réciprocité.

Et nous avons la conviction que c’est en dialoguant, en nous rapprochant, en créant plus de solidarités entre nous que nous rendrons cela possible.

Et probablement aussi, en allant au-delà de la perception médiatique.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, nos relations sont déjà nombreuses, diversifiées et bien enracinées. Nous pouvons encore en développer davantage.

En 2015, il y avait plus de 13 000 étudiants canadiens de l’extérieur du Québec inscrits dans des universités québécoises, et qui entraient donc en relation avec des étudiants du Québec.

Ce sont ces jeunes, et ceux de tout le Canada, qui vont faire le 21e siècle dont parle Peter Russell.

Peut-être faut-il voir dans ces nouvelles interrelations la source d’une nouvelle solidarité.

En effet, tout récemment, le 10 mai 2017, l’Union étudiante du Québec et l’Alliance canadienne des associations étudiantes ont signé une entente de partenariat visant à unir leurs efforts pour que les étudiants dont ils défendent les intérêts soient mieux représentés auprès du gouvernement fédéral.

Par ailleurs, on ne parle pas assez des importantes solidarités économiques qui existent entre nous.

Les échanges commerciaux du Québec avec les autres provinces canadiennes atteignent presque le niveau de ceux que nous avons avec les États-Unis, dont la population est pourtant dix fois plus nombreuse!

Nous échangeons plus de biens chaque année avec le Nouveau-Brunswick qu’avec la France, alors que le Nouveau-Brunswick est une province qui compte 750 000 habitants, et la France, un État qui en compte plus de 60 millions!

Il en est de même entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador : les échanges de biens entre les deux provinces sont plus importants que ceux entre le Québec et l’Italie, et ce, même si la population de Terre-Neuve-et-Labrador est de 530 000 personnes et que la population de l’Italie est de 62 millions de personnes.

Avec l’Ontario, nous échangeons plus de biens chaque année qu’avec l’Union européenne entière; tous les 28 États membres de l’Union européenne!

C’est aussi trois fois plus de biens échangés avec l’Ontario qu’avec la Chine!

Les relations commerciales entre nos provinces sont le résultat d’entrepreneurs discutant ensemble et créant des relations qui dépassent la seule sphère économique.

Il s’agit de milliers de Québécois et d’Ontariens qui, chaque jour, collaborent, échangent, discutent et travaillent ensemble. 

Nos deux gouvernements ont lancé une initiative commune en intelligence artificielle.

Le Québec, l’Ontario et les entreprises privées contribuent présentement au développement du Réseau 5G.

Nous préparons la prochaine économie ensemble : l’interaction tactile à distance, l’information transmise par les véhicules, le transport intelligent, la télémédecine, la santé mobile.

L’avenir, c’est maintenant.

Pendant que le libre-échange avec les États-Unis est en péril, sans tambour ni trompette, nous faisons l’avenir ensemble.

Nos solidarités constituent un terreau de confiance pour relever les autres défis qui attendent.

Il faut retrouver la confiance nécessaire pour bâtir la fédération canadienne à notre image; à nos images au pluriel : à l’image du Québec, à celle des peuples autochtones, à celle de l’Ontario, celle des provinces de l’Ouest et celles des Maritimes.

Notre Politique marque un changement. Elle reconnaît que les modifications constitutionnelles ne seront possibles que lorsque les Québécois et les autres Canadiens se seront davantage rapprochés.

Nous sommes convaincus qu’avec le temps, quand nous aurons appris à mieux nous connaître, nous serons en mesure de mieux nous reconnaître.

Et un jour, lorsque nous nous rencontrerons à nouveau pour discuter de la Constitution, nous ne serons pas assis chacun de notre côté de la table à nous entredéchirer.

Nous serons tous assis ensemble, du même côté de cette table.

Et ce, parce que nous nous connaîtrons mieux, nous nous comprendrons mieux et nous nous accepterons pour ce que nous sommes.

Francophonie

Il est important pour moi, comme sur toutes les tribunes où j’ai pris la parole au cours des derniers mois, de vous entretenir de l’importance fondamentale de la francophonie canadienne.

Nous sommes quelques 10,5 millions de francophones et francophiles au pays.

Dans le monde, nous sommes présentement près de 275 millions et en 2050, nous serons 700 millions.

Le Canada détient un avantage comparatif que peu de pays partagent. Il a une fenêtre sur le monde anglophone et une fenêtre sur le monde francophone.

Je crois sincèrement que cet avantage ajoute à la force de notre pays et au rôle qu’il peut jouer dans le monde.

Il est de l’intérêt de tous les Canadiens, anglophones et francophones, de bénéficier des avantages économiques, sociaux, culturels, environnementaux et diplomatiques découlant de ces fenêtres.

Ouvrons toutes grandes ces fenêtres!

Et montrons à tous l’avantage francophone, qui est bien réel.

L’expert en commerce international francophone, M. Bruno Bernard, écrivait récemment que le français est la langue étrangère la plus apprise dans le monde après l’anglais. Présentement, 116 millions de personnes suivent un enseignement du français ou en français sur la planète.

Cet expert soulignait que si nous additions le PNB des pays de la Francophonie, nous sommes ensemble au 3e rang mondial, juste derrière les États-Unis et la Chine. Et que contrairement à ces deux derniers, le marché francophone est en forte croissance!

Les langues officielles du Canada devraient être vues comme un pont qui nous unit plutôt qu’un fossé qui nous sépare.

Construisons ensemble ce pont!

D’ailleurs, depuis 1961, le nombre de personnes bilingues au Canada n’a jamais cessé de croître.

Le taux de bilinguisme est passé de 12% à 18%.

C’est un progrès, c’est même un nouveau sommet pour le bilinguisme français‑anglais dans l’histoire canadienne, mais ce n’est qu’une étape.

Nous devons poursuivre sur cette lancée, notamment en favorisant l’apprentissage du français au pays.

Pourquoi ne pas se donner l’objectif que, d’ici 10 ans, tous les étudiants universitaires du Canada soient bilingues au terme de leur formation?

Le monde va dans cette direction.

Saviez-vous qu’un peu plus de 50% des citoyens des États membres de l’Union européenne parlent au moins une autre langue étrangère en plus de leur langue maternelle?

Le Président Macron, récemment, dans un discours à la Sorbonne, a fixé l’objectif que d’ici 2024, chaque étudiant français parle deux langues européennes.

Soyons nous aussi ambitieux!

Le présent siècle sera multinational et multilingue. Le Canada sera-t-il à la traîne des autres, ou devant les autres?

La réponse à cette question vous appartient.

Le Canada, ce n’est pas ses gouvernements, ses leaders syndicaux ni même ses médias. Le Canada, c’est vous.

Conclusion

Le Canda du 21e siècle dont parle Peter Russell, c’est votre Canada.

Le projet de notre Politique ne concerne pas que les Québécois. Il concerne tous les Canadiens, et il vous concerne vous, au premier chef.

Vous avez 20 ans.
Vous allez faire le 21e siècle.

C’est à vous de décider si le Canada sera un pays comme les autres, ou un modèle pour les autres.

Dans un monde inquiet, tenté par l’isolationnisme et le repli identitaire, les Québécois et tous les Canadiens, animés par une vision inclusive de l’humanité, ont l’occasion de se retrouver pour partager et réaliser l’ambition de rapprocher leurs appartenances plurielles plutôt que de les opposer.

Face aux défis mondiaux que posent la croissance du phénomène migratoire, la délocalisation économique et la montée des inégalités, les Québécois et les Canadiens peuvent ensemble offrir au monde le début d’une réponse sur le vivre-ensemble, en faisant le choix des appartenances plurielles et de la diversité collective reconnue et acceptée.

Il s’agit à la fois d’un défi imposant et d’un projet stimulant.

Un projet pour tous les Québécois et pour tous les Canadiens.

Je souhaite donc vous inviter à prendre part à ce dialogue.

Comment?

Participez à des échanges étudiants et des activités pour les jeunes en impliquant des groupes provenant de différents endroits au Canada.

Mettez en place des activités de rapprochement.

Prenez la plume, choisissez de nouer des liens partout au pays.

Apprenez le français!

Réinvestissez les milieux intellectuels, politiques, économiques, les journaux, les réseaux sociaux!

Levez le tabou constitutionnel qui s’est installé depuis trop longtemps.

Ensemble, nous pouvons construire le Canada de demain.

Du Québec, je vous dis : nous  pouvons et nous voulons le faire.

Nous sommes Québécois et c’est notre façon d’être Canadiens.

De l’Ontario, que répondez-vous?

Merci beaucoup.