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Montréal, le 10 octobre 2017 La Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes

La version prononcée fait foi.

Dr Mebs Kanji (directeur du WSSR)

Dre Elizabeth Bloodgood (directrice du département de science politique – mot de bienvenue)

Mme Aphrodite Salas (modératrice (et journaliste de CTV) -présentation du ministre))

Mesdames, Messieurs,

C’est avec plaisir que je me retrouve ici à l’Université Concordia dans le cadre des activités Workshops on Social Science Research.

J’ai évidemment regardé la liste des présentations qui se sont déroulées ici et je vous avoue que je suis impressionné par le large éventail des sujets couverts.

Je les résumerais toutefois sous un grand titre : « Comment vivre ensemble ».

Et, je vais, moi aussi, vous parler de cet enjeu fondamental : le vivre-ensemble dans la fédération canadienne.

La Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes porte sur cet enjeu. Elle rappelle la nécessité de dialoguer afin de se comprendre, se connaître et se reconnaître.

Dévoilée à l’occasion du 150e anniversaire de la fédération canadienne, cette politique, dans son volet « affirmation », définit et nomme l’identité nationale inclusive du Québec.

La Politique vise ainsi à mieux faire connaitre le Québec auprès des autres Canadiens, et à mieux le faire comprendre.

Elle vise surtout, dans son volet « relations canadiennes », à engager avec les autres Canadiens – ce qui nous inclut tous -  un dialogue d’abord sur notre avenir commun et aussi, sur la nécessaire collaboration entre les gouvernements pour offrir aux citoyens de meilleurs services.

Un dialogue sur la place des différentes composantes nationales du pays, sur le rôle et la composition des institutions communes et sur les principes du fédéralisme canadien.

Le dialogue est essentiel à la vie en fédération. Les gouvernements doivent bien sûr prendre activement part à ce dialogue, mais ce sont avant tout les acteurs de la société civile qui le mènent.

L’avenir du pays appartient à l’ensemble des Québécois et des Canadiens.  

Ce n’est pas qu’une affaire de gouvernement, c’est un projet citoyen.

Nous avons au fil du temps beaucoup parlé de nos solitudes. L’avenir commande que l’on aborde aussi nos solidarités.

Le dialogue est un chemin incontournable pour favoriser le vivre-ensemble.

Le 150e anniversaire de la fédération nous fournit l’occasion de réfléchir non seulement à la longue histoire que partagent le Québec et le Canada, mais surtout à celle que le Québec veut construire avec ses partenaires de la fédération.

Le Québec entend exercer un leadership inédit au sein du Canada. Il participera de façon active au développement de rapports constructifs, harmonieux et mutuellement bénéfiques entre tous les partenaires de la fédération canadienne, dans un cadre multilatéral ou bilatéral.

Le Québec veut aussi encourager le développement de tels rapports entre tous les citoyens.

Le Québec et  l’Ontario sont à cet égard exemplaires : ils partagent des valeurs et des intérêts communs.

Ensemble, le Québec et l’Ontario peuvent faire progresser concrètement l’idée d’un fédéralisme plurinational au Canada; ensemble, avec les autres partenaires fédératifs, ils peuvent construire le Canada de demain.

La première ministre de l’Ontario, madame Kathleen Wynne, a prononcé un discours historique devant l’Assemblée nationale du Québec le 21 septembre dernier.

Historique, parce que c’était la première fois en 150 ans, qu’un chef de gouvernement du Canada s’adressait aux parlementaires du Québec au Salon Bleu.

Sa présence, et l’important discours qu’elle a livré à cette occasion, illustrent combien le Québec et l’Ontario entretiennent ensemble des solidarités.

Madame Wynne a expliqué, entre autres, que la vision du Québec d’un monde «plus ouvert, plus vert, plus prospère et plus égalitaire» rejoint celle que les Ontariens souhaitent pour l’avenir.

J’aimerais aussi citer un passage de son discours qui atteste de l’intérêt de l’Ontario pour notre Politique et son désir de participer au dialogue que nous voulons initier. Madame Wynne a dit :

« Le gouvernement du Québec a invité l’ensemble du Canada à un dialogue ouvert et démocratique portant sur notre fédération et sur la place unique du Québec au sein du Canada. En Ontario, nous serons heureux de continuer à contribuer à cette discussion. »

L’Ontario répond présent et cela est bon signe pour l’avenir.

Nation québécoise, plurinationalisme

Vous savez que depuis 1867, le Québec participe au projet canadien en affirmant son identité propre. Je ne reviendrai pas sur l’histoire.

Je veux avant tout attirer votre attention sur la conception québécoise du fédéralisme canadien et sur les relations que le Québec entend cultiver avec ses différents partenaires fédératifs.

Le Québec est libre de ses choix, et il a choisi l’expérience canadienne.

Mais la question de la place du Québec au Canada demeure un enjeu et un élément distinctif de nos relations canadiennes.

De fait, le Québec est particulièrement interpellé par les enjeux intergouvernementaux, par le bon fonctionnement de la fédération et par la nature même de notre fédération.

Pour le Québec, le Canada n’est ni un État mono-national ni un État post-national.

Le Canada est un État plurinational.

Il l’a toujours été : avant 1867, et après.

Encore aujourd’hui, cette interprétation québécoise de notre fédération demeure.

Au Canada, cette conception de notre union s’est étiolée à partir des années 1930 pour donner place à une nouvelle interprétation qui a conduit au rapatriement, sans le Québec, de la Constitution en 1982. 

Cela dit, le Québec et le Canada ont beaucoup changé et les positions sur le plurinationalisme ont heureusement évolué depuis cette époque.

Pour l’illustrer, rappelons encore une fois le discours de madame Wynne, auquel j’ai fait mention plus tôt. Elle a parlé de la société distincte du Québec en ces mots :

« We commend the efforts of this assembly — and all Québecers — to defend and promote the distinct character of Québec.

And, formally and informally, to advance the rights of Francophones from coast to coast to coast and around the world. »

Rappelons aussi qu’à plus d’une occasion, la Cour suprême a rendu des décisions reconnaissant la spécificité du Québec, ses valeurs sociales et sa tradition civiliste distinctes.

En 2006, la Chambre des communes a, elle aussi, reconnu que le Québec formait une nation distincte dans un Canada uni.

Mais cette nation, le Canada tarde toujours à l’accueillir formellement.

Qu’est-elle, cette Nation québécoise?

La Nation québécoise est une nation composée d’une majorité francophone.

Elle est également composée de la présence historique et dynamique d’une communauté d’expression anglaise qui a contribué au progrès économique, social et culturel du Québec et qui y détient des droits reconnus.

Cette communauté participe à l’édification du Québec moderne et à l’expression de son identité.

La Nation québécoise reconnaît onze nations autochtones réparties à travers le Québec.

Le Gouvernement du Québec entretient d’ailleurs depuis déjà plusieurs décennies une relation de nation à nation avec les Premières Nations et les Inuits.

Nous entendons résolument poursuivre dans cette voie, en jouant un rôle plus important dans le renforcement du développement social, culturel et économique de ces nations, afin qu’elles puissent assumer, en ces domaines, de plus grandes responsabilités.

Finalement, la Nation québécoise est aussi forte d’une grande diversité culturelle, qui s’intègre à sa trame historique au rythme de l’interculturalisme,

un modèle basé sur la réciprocité, qui vise justement à assurer l’équilibre entre l’ouverture à la diversité et le maintien du caractère distinct de la Nation québécoise.

En d’autres mots, l’équilibre entre, d’un côté, la continuité d’une identité collective distincte, intimement liée à l’histoire du Québec de même qu’à son caractère francophone et, de l’autre,

l’ouverture à l’enrichissement mutuel et collectif par la reconnaissance de la diversité et par la valorisation du dialogue et du rapprochement interculturels.

Nous voulons renforcer l’appartenance québécoise des membres de chacune de ces composantes. Et nous savons qu’il nous reste du travail à faire pour y parvenir.

Cette volonté d’inclusion, c’est aussi celle que les Québécois attendent du Canada.

Reconnaitre et accepter les appartenances collectives particulières est le seul chemin menant à l’appartenance commune.

La Nation québécoise possède par ailleurs ses propres institutions juridiques, politiques, culturelles, économiques, éducatives et sociales.

Elle a en somme un caractère bien spécifique, qu’elle souhaite préserver, cultiver et partager.

Les Québécois y sont attachés. Notre allégeance à la nation québécoise est réelle et forte. Par ailleurs, pour la majorité des Québécois - 75% - cette allégeance s’additionne aussi d’une appartenance canadienne.

Devons-nous lutter contre ces appartenances plurielles?

Devons-nous choisir entre être Québécois et être Canadien?

Sommes-nous forcés à choisir une composante de notre identité au détriment d’une autre?

À ces questions, nous répondons qu’au contraire, nous pouvons offrir au monde un modèle, un fédéralisme qui reconnaît avec confiance et donne sa place à la diversité collective de ses composantes nationales.

Cette vision, qui cherche à rapprocher les appartenances plutôt que de les opposer, s’inscrit dans l’histoire, mais aussi dans une pensée politique contemporaine qui voit dans le fédéralisme un mode de gestion optimal de la cohabitation de différentes communautés nationales au sein d’un même État.

En somme, une fédération qui accueille toutes les dimensions de la diversité : la diversité individuelle et la diversité collective, en particulier nationale.

Cette ouverture à la diversité collective permet de répondre aux aspirations des Québécois, et offre aussi une ouverture à la reconfiguration de nos rapports avec les Premières Nations et les Inuits.

Une fédération authentiquement plurinationale se fonde sur le consentement et la souveraineté partagée.

Elle se construit et elle évolue grâce à un dialogue juste, honnête et respectueux, où tous les partenaires cherchent à se comprendre mutuellement et à mieux comprendre les aspirations de chacun.

Notre projet, animé d’un regard inclusif sur l’humanité, cherche à rapprocher les diversités individuelles et collectives.

Dans un monde inquiet, tenté par l’isolement et le repli identitaire, le Québec et tous les Canadiens ont l’occasion de se retrouver pour partager et réaliser l’ambition de rapprocher la pluralité de leurs appartenances plutôt que de les opposer.

Face aux défis mondiaux que posent la croissance du phénomène migratoire, la délocalisation économique et la montée des inégalités, les Québécois et les Canadiens peuvent ensemble offrir au monde une amorce de réponse, en faisant le choix des appartenances plurielles et de la diversité nationale reconnue et acceptée.

Voilà un défi imposant, mais en même temps un projet humain emballant.

C’est un projet pour les Québécois, c’est un projet pour tous les Canadiens.

Aujourd’hui, le dialogue entre toutes les parties doit primer afin de convenir de la façon de concevoir et de faire évoluer, ensemble, la fédération canadienne.

Le Québec ne cherche pas à affaiblir le fédéralisme canadien ni à le miner. Il cherche au contraire à le parfaire.

Dans cette perspective, notre gouvernement utilisera toutes les tribunes pertinentes afin de partager et ouvrir le dialogue sur une vision du Canada qui favorise les appartenances plurielles en se fondant sur l’ouverture, la reconnaissance mutuelle et le respect de la diversité individuelle et collective.

Le Québec soutiendra aussi ouvertement les principes du fédéralisme canadien, à commencer par l’égalité entre les deux ordres de gouvernement et le respect du partage des compétences.

Le Québec continuera de soutenir que les institutions fédérales, notamment le Sénat et la Cour suprême, sont des institutions communes qui appartiennent aux membres de la fédération, au Québec comme aux autres provinces et territoires, et non pas uniquement au gouvernement fédéral.

Le Québec estime qu’elles doivent mieux refléter sa réalité nationale.

La spécificité du Québec entraîne des responsabilités particulières de l’État québécois dans les domaines que lui reconnaît la Constitution.

Ces responsabilités s’expriment également à travers le prolongement de ces mêmes compétences sur la scène internationale.

Comme toute société normale, le Québec a toujours veillé et agi de manière à préserver sa capacité à élaborer et à mettre en œuvre des politiques, programmes et interventions qui répondent aux besoins de sa société.

Ajoutons à cela le contexte mondial actuel, où la défense et l’épanouissement de la langue française demeurent un défi permanent. Le Québec doit être en mesure de développer les outils nécessaires pour assurer la pérennité de sa langue et la vitalité de sa culture.

Voilà pourquoi à chaque fois que cela s’avérera nécessaire, le Québec privilégiera l’asymétrie comme moyen d’atteindre une égalité réelle et d’assurer le progrès de la fédération, dans le respect des compétences et des aspirations collectives.

Si cette idée d’asymétrie n’a pas toujours été bien comprise, il faut noter que cela commence à changer.

Encore une fois, permettez-moi de citer la première ministre de l’Ontario lors de son discours à l’Assemblée nationale :

« Where our approach differs, it always remains grounded in our shared values of equality, fairness and respect for diversity.

This asymmetry makes it possible to pursue common ends while respecting Québec’s priorities and unique requirements as the only predominantly French-speaking jurisdiction in Canada and all of North America. »

(Fin de la citation)

Contrairement à certaines idées reçues,l’asymétrie profite à toutes les provinces. L’adoption de mesures asymétriques permet en effet de réduire les tensions politiques indues, les confrontations contre-productives, et facilite l’adhésion aux projets communs.

De fait, la poursuite d’une plus grande asymétrie ne contredit absolument pas la notion de l’égalité entre les provinces.

L’asymétrie permet au contraire d’assurer une égalité réelle.

L’asymétrie répond à l’esprit fédéral en réconciliant les principes d’unité et de diversité.

Concrètement, la flexibilité et l’asymétrie recherchées par le Québec signifient qu’en raison de son caractère national, celui-ci peut être appelé à exercer certaines responsabilités qui n’incomberont pas nécessairement aux autres provinces.

N’oublions pas que le Québec est le seul État à majorité francophone parmi les provinces de la fédération canadienne et qu’il se reconnaît des responsabilités claires à l’égard de l’affirmation des Québécois.

La pratique du fédéralisme asymétrique permet la poursuite d’objectifs communs tout en respectant les priorités et les façons de faire du Québec.

Il ne s’agit pas d’un instrument permettant au Québec de se dissocier des autres, mais plutôt d’une manière de faire flexible, qui facilite l’adhésion du Québec aux projets communs.

L’asymétrie au Canada constitue un moyen de favoriser la cohabitation des nations en son sein.

Elle constitue la reconnaissance conséquente des appartenances plurielles.

Cela peut peut-être paraître paradoxal, mais l’asymétrie est un moyen de nous rapprocher.

Le dialogue,  une nécessité de la vie en fédération

Le Québec privilégiera une diplomatie proactive.

L’objectif est de maintenir et de favoriser des rapports fructueux au sein de la fédération.

Nous voulons dialoguer avec les gouvernements des autres provinces et des autres territoires. Ce dialogue doit s’étendre aussi aux membres des assemblées législatives, à commencer par les institutions communes fédérales, la Chambre des communes et le Sénat.

Nous voulons multiplier les alliances, les ententes et les partenariats bilatéraux ou multilatéraux avec nos partenaires fédératifs.

Nous pouvons choisir de nous renforcer mutuellement.

Nous voulons multiplier les projets communs. Nous voulons multiplier les espaces de réflexion, de discussion et de concertation stratégique.

Le dialogue auquel le Québec convie les autres Canadiens n’est toutefois pas uniquement un dialogue institutionnel ou gouvernemental.

Nous voulons aussi et surtout que les acteurs de la société civile prennent activement part à ce dialogue, entre eux. Ma présence parmi vous aujourd’hui est d’ailleurs l’illustration de cette volonté.

Nous souhaiterions, par exemple, que les universitaires québécois partagent plus souvent encore leurs réflexions avec ceux d’ailleurs au Canada.

Nous souhaiterions aussi que les jeunes québécois, finissants universitaires ou entrepreneurs,  effectuent des stages ailleurs au Canada, et que les jeunes du reste du Canada effectuent des stages au Québec.

Nous étudions l’idée d’un programme d’échange entre fonctionnaires québécois et ceux d’autres juridictions.

Nous voulons plus d’interactions dans les milieux sociaux, environnementaux, culturels, économiques et gouvernementaux.

Nous pouvons choisir d’apprendre ou de réapprendre à nous connaître.

Et nous pouvons le faire parce que nous sommes déjà bien plus que seulement la cohabitation de deux solitudes.

Les liens qui unissent les Québécois et les autres Canadiens sont profonds, anciens et durables.

Ils se sont tissés au fil du temps et ils racontent une histoire qui contraste avec le récit des différends politiques et constitutionnels qui ont jalonné les relations gouvernementales entre le Québec et le Canada.

Ils racontent des milliers d’interactions qui se font tous les jours dans le monde des affaires, au fil des échanges commerciaux,
dans les organisations caritatives,
à travers les organisations syndicales et les mouvements de solidarité,
dans la lutte contre les changements climatiques,
par tous ces Québécois qui voyagent ou vont vivre ailleurs au Canada ainsi que tous ces autres Canadiens qui viennent découvrir le Québec ou choisissent de s’y établir.

C’est à partir de tous ces liens que se forgent véritablement un vivre-ensemble et une compréhension commune de nos appartenances collectives particulières.

C’est sur eux que nous voulons miser pour briser le tabou de la place du Québec au Canada.

Forts d’une identité nationale profondément ressentie, les Québécois ont librement choisi de construire l’avenir avec les autres Canadiens.

La reconnaissance de la réalité nationale du Québec, et sa formulation éventuelle dans le texte de la Constitution, serait l’expression d’un respect fondamental, la pierre d’assise sur laquelle peuvent se bâtir la confiance et la coopération.

Mais l’époque où les changements constitutionnels étaient négociés derrière des portes closes est révolue.

La Politique marque un changement. Elle reconnaît que le changement constitutionnel ne sera possible qu’à la suite d’un rapprochement entre les Québécois et les autres Canadiens.

Nous avons la conviction qu’à terme, quand nous aurons appris à nous connaître, il ira de soi que nous pourrons nous reconnaître.

Et quand nous nous réunirons de nouveau pour ajouter à la Constitution, ce ne sera pas en s’entredéchirant face à face autour d’une table.

Ce sera tout le monde, du même côté de la table. Parce que nous nous connaitrons, nous nous comprendrons.

Nous nous accepterons mieux pour ce que nous sommes.

Dans le cas du Québec : une Nation. Un voisin. Un partenaire. Un membre de la famille.

L’intérêt pour les partenaires fédératifs du Québec et les citoyens

Il y a deux semaines, la première ministre Wynne nous a rappelé que le Québec et l'Ontario étaient les « moteurs de la fédération », en plus de souhaiter que les deux provinces continuent à « grandir ensemble », à « s’épanouir ensemble » et à « réussir ensemble »1.

Nous partageons bien sûr cette volonté.

Le Québec et l’Ontario entretiennent d’ailleurs une relation privilégiée au sein de la fédération canadienne et celle-ci profite à l’ensemble du Canada.

Ensemble, nous formons la quatrième économie de l’Amérique du Nord après celles de la Californie, du Texas et de New York2.

Chaque année, le Québec exporte pour $40 milliards de biens et services en Ontario et il importe pour $43 milliards en retour. C’est donc un flux commercial de plus de $80 milliards qui circule entre nos deux provinces – c’est une somme colossale3.

Chaque jour, des milliers de Québécois et d’Ontariens collaborent, échangent, discutent et travaillent ensemble. 

Nous contribuons ainsi à plus de 60 % du PIB canadien et comptons pour plus de 75 % de la production manufacturière du pays4.

Aujourd’hui, le Québec et l’Ontario sont d’importants partenaires commerciaux dont les structures économiques se complètent à plusieurs égards5. Jamais nos deux provinces n’ont été aussi proches.

Nos économies, à l’instar du mouvement planétaire, sont de plus en plus intégrées.
Nous sommes de moins en moins des compétiteurs et de plus en plus des partenaires.

C’est vrai aussi pour la relation Québec-Alberta.

Il me semble important de m’attarder à cette relation particulièrement aujourd’hui, alors que les voix de la discorde s’élèvent devant l’incompréhension des uns par rapport aux autres.

Certains y verraient un argument pour s’éloigner davantage, pour attiser nos oppositions, pour renforcer nos préjugés.

 Le « bashing » réciproque est si tentant.

J’aime mieux y voir une raison de plus pour le rapprochement, pour un meilleur dialogue, pour une explication accrue, de nos intérêts respectifs.

Bien sûr, que nous pourrions alors reconnaitre les difficultés économiques qu’entraine là-bas, la chute des prix du pétrole, la diminution de la production anticipée, les effets sociaux de celles-ci, la précarité d’emploi et l’inquiétude qu’elles génèrent.

Nous pourrions aussi mesurer les impacts de la nécessaire protection climatique de notre planète, de la transition énergétique en cours, et des opportunités économiques qui l’accompagnent.

Nous pourrions convenir que la meilleure façon de se redonner l’espoir c’est de sortir du conflit, chercher le rapprochement, tisser de nouvelles solidarités.

L’histoire, la distance et la géographie ont parfois empêché que des relations soutenues se forment entre le Québec et l’Alberta. Mais contrairement à certaines idées reçues, les deux provinces ont beaucoup en commun et, en réalité, elles se ressemblent.

Les liens commerciaux entre le Québec et l’Alberta, par exemple, sont plus importants qu’on le croit ordinairement.

Chaque année, le Québec exporte ainsi près de $ 10 milliards de biens et services vers l’Alberta. Et il importe en retour $ 6 milliards de biens et services.

C’est donc plus de $ 15 milliards qui circulent entre nos deux provinces, chaque année.6

Cette intense activité commerciale profite à nos deux provinces, bien sûr. Mais elle profite aussi au reste du Canada.

Les polémistes qui prétendent que le Québec se « comporte comme un ravisseur qui extorque de l’argent du gouvernement fédéral (et donc de l’Alberta) pour se payer de généreux services sociaux »7 comprennent mal l’architecture fiscale canadienne, en plus de très mal comprendre l’importance du commerce interprovincial au pays.

Jumelée à la ville de Québec depuis 1956, Calgary compte ainsi parmi les villes les plus dynamiques du Canada. Son dynamisme reflète parfaitement celui de la province.

L’influence de l’Alberta a grandi sur la scène politique canadienne. Les orientations politiques des gouvernements de cette province marquent aujourd’hui profondément les débats nationaux concernant, par exemple, le rôle de l’État et les politiques sociales.8 L’essor de l’Alberta ne gêne absolument pas le Québec.

Au contraire!

Les Québécoises et les Québécois ont pour la plupart une image positive de l’Alberta.9

En fait, il y a au Québec un intérêt pour savoir ce qui se passe réellement en Alberta, sur le plan économique, politique, culturel et environnemental. Comme en témoigne la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, il y a un désir de connaitre; un désir de dialoguer.

Il faut aussi savoir qu’un très grand nombre de Québécois vivent et travaillent aujourd’hui en Alberta.10

Le politologue Frédéric Boily compte parmi eux.

Comme il l’a récemment remarqué dans un de ses ouvrages, il existe de nombreuses études comparatives entre le Canada et les États-Unis, mais très peu de comparaisons interprovinciales – les Canadiens se connaissent mal entre eux.

Nous en savons ainsi beaucoup plus sur ce qui particularise le Québec et le Canada face aux États-Unis que sur ce qui distingue et rapproche le Manitoba du Nouveau-Brunswick, ou l’Alberta du Québec.

C’est là une situation que le Québec espère changer. Il faut se rapprocher pour mieux se connaître et mieux se reconnaître.

En dépit de certains désaccords ponctuels, le Québec et l’Alberta partagent ce que Frédéric Boily nomme joliment l’« esprit de rébellion provincial ».11

Par exemple, les deux provinces se sont toujours méfiées des visées d’empiétement du gouvernement fédéral.

Le Québec et l’Alberta se sont ainsi récemment opposés à la mise sur pied d’une commission nationale des valeurs mobilières, et la Cour suprême leur a donné raison – le gouvernement fédéral outrepassait encore une fois la Constitution.

Plutôt que de cultiver le conflit, le Québec et l’Alberta peuvent montrer le chemin.

C’est dans ces moments comme ceux que nous vivons en ce moment, que les plus grands se révèlent.

Inspirons-nous des propos de la première ministre Notley lors du lancement de notre Politique.

« Quebec is an excellent partner to Alberta and we have a good working relationship built on shared values and interests.

Quebec's desire to speak to their fellow citizens throughout the country about their values, culture and perspective in our Confederation is welcome.

As an Albertan, I look forward to sharing the values and perspective we bring to the conversation.

Listening to each other is an important part of how we keep a country of such great diversity unified, and make it even stronger than it is today. »

(Fin de la citation)

Nos relations canadiennes ne se résument pas à la seule formule des deux solitudes. Nous avons aussi des solidarités.

Encore d’autres preuves :

Nous avons plus d’échanges commerciaux avec le Nouveau-Brunswick qu’avec la France.

Nous en avons plus avec le Colombie-Britannique qu’avec la Chine.

De plus en plus, nous constatons que nous avons avantage à être non pas compétiteurs, mais partenaires pour un monde meilleur.

C’est de cela dont il est question dans notre politique d’affirmation et de relations canadiennes.

Permettez-moi aussi un mot sur la langue, souvent présentée comme élément de distance, de solitude.

Nous sommes 10,5 millions de francophones et francophiles au Canada;

Sur la planète, il y a actuellement 250 millions de locuteurs francophones;

En 2050, on en comptera 700 millions.

Pour revenir à notre voisin, chez qui la francophonie connait un essor et un dynamisme encourageant, le Québec et l’Ontario ont récemment réaffirmé l’importance qu’ils attachent à l’accroissement de l’immigration francophone.

Ils ont mandaté leurs ministres responsables à poursuivre les actions entreprises au niveau fédéral-provincial-territorial.

Ils ont aussi rappelé l’importance qu’a pour eux la tenue d’un nouveau symposium entre les gouvernements et les communautés francophones, de même que celle d’une nouvelle rencontre conjointe des ministres de l’Immigration et de ceux responsables de la Francophonie.

À l’image de l’intérêt croissant constaté à travers le pays  pour le français, ces gestes offrent une résonnance à notre langue qui renforce notre appartenance au Canada.

Le Canada bénéficie d’un avantage que peu de pays partagent. Il possède une fenêtre sur le monde anglophone et une fenêtre sur le monde francophone.

Il est dans l’intérêt de tous les canadiens de profiter des retombées économiques, sociales, culturelles, environnementales et diplomatiques découlant de ces fenêtres.

Ouvrons toutes grandes ces fenêtres.

Profitons de notre avantage.

Nos deux langues doivent nous rapprocher, pas nous éloigner.

Elles doivent être des ponts entre nous, pas des fossés.

Pour les Québécois, une meilleure résonnance du français au Canada c’est en même temps une meilleure appartenance au Canada.

Conclusion : une invitation à participer au dialogue

Le 150ème anniversaire de la fédération canadienne nous a offert l’opportunité de réfléchir à notre histoire. Mais il nous offre surtout une occasion exceptionnelle d’engager la discussion sur l’évolution du fédéralisme, sur le Canada des prochaines 150 années.

C’est là une occasion que nous pourrions saisir tous ensemble, collectivement.

Le modèle fédéral canadien, qui demeure à parfaire, est riche de promesses pour le futur,

car à sa source même se trouve toujours l’idée d’un État plurinational, l’affirmation d’une volonté de vivre ensemble dans le respect de la diversité.

Ceci étant dit, une démarche qui viserait à permettre l’adhésion complète du Québec à l’ordre constitutionnel doit être empreinte de réalisme et de prudence.

Cette adhésion doit être perçue comme le point d’arrivée du dialogue dont je vous parle, car il aura permis de raffermir la confiance encore fragile entre tous les partenaires fédératifs.

C’est pourquoi il m’est apparu si important de venir à l’Université Concordia pour vous rencontrer et vous présenter la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes,

pour vous parler des liens de solidarités qui existent entre nos provinces; des liens qui existent déjà; de ces nouveaux liens que nous pourrions tisser ensemble – plus de liens en affaires, plus de liens sociaux, plus de liens culturels.

Ce projet pourrait aussi être le vôtre. Je souhaite donc vous inviter à prendre part à ce dialogue.
Comment?

Collaborez avec vos homologues du Québec, que ce soit dans des projets de recherche, des colloques, des échanges d’étudiants.

Mettez en place des activités de rapprochement.
Prenez la plume, levez le tabou constitutionnel qui s’est installé dans l’espace public.

Réinvestissez les milieux intellectuels, politiques, économiques, les journaux, les réseaux sociaux!

L’invitation est lancée.

Ensemble, nous pouvons faire le Canada de demain.

Nous pouvons, et nous voulons le faire;

Parce que nous sommes québécois, et que c’est notre façon d’être canadiens.

Merci

 

  1. http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/41-1/journal-debats/20170921/203943.html#15h
  2. Polique 150, p. 141
  3. MESI, Calepin 2017 p.106
  4. Polique 150, p. 141
  5. Politique 150, p. 141
  6. Ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, LE CALEPIN, ÉDITION 2017, LE COMMERCE EXTÉRIEUR, DU QUÉBEC p.106
    https://www.economie.gouv.qc.ca/ministere/actualites/actualites/?no_cache=1&tx_ttnews%5Btt_news%5D=20832
  7. Boily, F., Epperson, B, 2014, «  Clash of Perception : Québec Viewd by Albertan Media (2003-2012) »,  Canadian Political Science Review, : 34
    https://ojs.unbc.ca/index.php/cpsr/article/view/511
  8. Josée Bergeron, « Le monde de Ralph : les familles et l’État », Politique et Societes, vol. 26, n° 2-3, 2007, p. 175.
    https://www.erudit.org/en/journals/ps/2007-v26-n2-3-ps2113/017669ar/abstract/
  9. « Les relations entre le Québec et l’Albert ». Léger Marketing/IEDM, 2011
    http://www.iedm.org/fr/34805-les-relations-entre-le-quebec-et-lalberta
  10. Institut Fraser, « La migration interprovinciale au Canada : Les Québécois votent avec leurs pieds »
    https://www.fraserinstitute.org/fr/%C3%A9tudes/la-migration-interprovinciale-au-canada-les-quebecois-votent-avec-leurs-pieds
  11. Boily, F., 2016, La droite en Alberta. D'Ernest Manning à Stephen Harper. Québec, Presses e l’Université Laval, p.10.