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Le 24 mars 2017, Musée de la Civilisation, Québec Allocution de clôture lors du colloque Le fédéralisme canadien et son avenir : acteurs et institutions

La version prononcée fait foi.

Organisé par le Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP) en partenariat avec la Chaire Peter MacKell sur le fédéralisme de l’Université McGill, la Faculté de droit de l’Université McGill et la Faculté de droit de l’Université Laval

Bonjour à tous.

C’est un grand plaisir d’être parmi vous, aujourd’hui, pour échanger sur le fédéralisme canadien et son avenir.

Permettez-moi d’abord de remercier mesdames Eugénie Brouillet et Johanne Poirier, ainsi que messieurs Alain-G. Gagnon et Guy Laforest pour cette initiative et pour l’invitation.

Il aura fallu l’anniversaire du 150e de la fédération pour que soit relancée la réflexion sur l’évolution des relations canadiennes : celles du Québec et celles de l’ensemble de nos partenaires.

Voilà une bonne chose! Et, comme on dit souvent, pourvu que ça dure!

Pour certains, toute réflexion qui concerne nos rapports fédératifs risque de devenir automatiquement une négociation constitutionnelle, ce qui soit éveille une sensation de crise, soit provoque un profond bâillement.

Je crois, bien sincèrement, qu’il faut apprendre à faire la différence entre nos rapports fédératifs, d’une part, et la Constitution, d’autre part.

À l’évidence, la Constitution est le socle de nos relations et conditionne nos rapports fédératifs.

Par ailleurs, sans échanges, sans discussion – je dirai, aussi, sans compréhension commune et sans une confiance renouvelée –, il est inimaginable de s’entendre sur le sens de la Constitution ou encore de réussir à l’améliorer.

Il faut d’abord se comprendre avant d’écrire un texte constitutionnel. On a déjà essayé l’autre formule – écrire avant, comprendre après –, avec les résultats que l’on connaît.

Pour illustrer cela avec une image qui reprend une expression bien connue, je dirais que pour qu’un jour, le fruit soit mûr, encore faut-il décréter la fin de l’hiver pour que le printemps commence.

Un anniversaire, c’est souvent une occasion pour regarder le chemin parcouru, constater où nous en sommes et envisager l’avenir.

Je ne reviendrai pas sur chacune des grandes dates de notre histoire; un léger survol s’impose cependant.

Laissons d’abord parler Cartier. En 1867, il disait :

« Telle est la signification que l’on doit attacher à cette Constitution. On y voit la reconnaissance de la nationalité canadienne-française… »

Macdonald renonce à l’union législative, car, dit-il, « ce système est impraticable… Il ne saurait rencontrer l’assentiment du peuple du Bas-Canada ».

Cette reconnaissance de la nation distincte n’est pas nouvelle en 1867. Elle prend sa source dans les textes de 1774 et de 1791.

Elle prend sa source dans l’œuvre de La Fontaine et Baldwin, qui contourne les effets de l’Acte d’Union de 1840 en imposant la double majorité.

Au départ, nos textes constitutionnels et nos pratiques politiques reconnaissent et acceptent cette idée nationale distincte du Québec.

Si les premières cinquante années de la fédération font une bonne place à l’autonomie des provinces, malgré les tendances centralisatrices, après la grande crise apparaît un nouvel activisme étatique.

Le gouvernement fédéral multiplie les interventions.

À l’extérieur du Québec se développe une lecture nouvelle des fondements de la fédération.

Le Canada ne serait plus le fruit d’un pacte, mais une simple création impériale. Certains l’ont mentionné au cours de la conférence : la volonté de nier la pertinence de l’idée du pacte dans notre fédération s’est incarnée dans les années 30, notamment sous la plume de Frank Scott.

Au Québec, au contraire, on adhère toujours à l’idée que le Canada résulte d’un compromis fédératif visant notamment à préserver la spécificité de la nation québécoise.

Ces visions concurrentes de ce qu’est et devrait être le Canada contribuent dans une large mesure à éloigner le Québec du reste du Canada et les Québécois du reste des autres Canadiens.

Lorsque le Québec lance sa Révolution tranquille, l’interventionnisme de l’un et de l’autre entre en conflit.

Les années 60 et 70 deviennent celles des grands rendez-vous constitutionnels.

La conclusion en sera le rapatriement sans le Québec.

Depuis 1867, le Québec a toujours affirmé une même compréhension, une même vision des fondements de notre fédération.

Sans relâche, le Québec a insisté, persisté pour que toutes les dimensions de son identité soient prises en compte dans le projet commun.

L’idée de la reconnaissance du caractère national du Québec apparaît comme le principe le plus déterminant de l’histoire politique et constitutionnelle du Québec.

La suite ne doit pas étonner.

En toute cohérence, le Québec entend rappeler, à chaque occasion où cela sera pertinent, qu’il a toujours considéré que sa participation et sa contribution à l’union fédérale ont comme source, d’abord et avant tout, une idée nationale antérieure à l’État canadien.

Les 150 dernières années, évidemment, ne se limitent pas à la distanciation des compréhensions sur les fondements de la fédération.

Les relations intergouvernementales entre les provinces et avec le gouvernement fédéral ont eu pour résultat la construction d’un environnement social et économique qui fait l’envie du monde entier.

Le nouveau libre-échange canadien, la couverture publique des soins de santé, un réseau d’institutions d’enseignement d’envergure et combien d’autres avancées, résultat d’initiatives patientes, objets de friction, à l’occasion, mais, au final, autant de réussites qui se sont bâties par la coopération.

Par ailleurs, les relations canadiennes ne sont pas que celles menées par les gouvernements. Ces relations qui façonnent le Canada sont aussi celles de citoyens et de groupes organisés.

À cet égard, il faut bien reconnaître que les liens qui unissent les Québécois et les autres Canadiens racontent une histoire qui contraste avec le récit des différends politiques qui jalonnent l’actualité.

Ils racontent des milliers d’interactions qui se font tous les jours dans le monde des affaires, à travers les organisations syndicales et les mouvements de solidarité, dans la lutte contre les changements climatiques, par tous ces Québécois qui voyagent et vont voir ailleurs au Canada ainsi que tous ces autres Canadiens qui viennent découvrir le Québec ou choisissent d’y habiter.

On résume souvent l’histoire de nos relations à celle de deux solitudes. C’est vrai à certains égards.

C’est vrai dans nos fréquentations culturelles, notamment à l’égard de nos choix télévisuels, et c’est vrai aussi au plan de la recherche universitaire et de la production du savoir.

Comme l’a démontré François Rocher, dans le domaine des sciences sociales, la recherche en français, au Canada, demeure trop peu considérée par les chercheurs non francophones.

Reconnaître ces solitudes ne doit pas nous faire perdre de vue les nombreuses solidarités créées au fil du temps.

Le Québec exporte autant dans les autres provinces que ce qu’il exporte aux États-Unis, un marché pourtant dix fois la taille de celui du Canada. Cela veut dire quelque chose.

On peut bien opposer l’Ontario et le Québec en disant que l’une, c’est l’automobile, et l’autre, l’aérospatial.

C’est oublier les nombreux sous-traitants québécois de l’automobile et tous les fournisseurs ontariens de l’aéronautique.

Une image vaut mille mots.

L’an dernier, lorsque la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, annonçait sa plateforme de lutte contre les changements climatiques, sur la scène se trouvait un leader québécois de l’environnement : Steven Guilbeault d’Équiterre, une image de l’influence citoyenne du Québec et de la solidarité canadienne entre les groupes intéressés par notre avenir climatique.

Alors, où en sommes-nous aujourd’hui?

Le Canada – je l’ai dit – fait l’envie du monde entier.

Au plan économique, social, culturel, notre histoire, celle du Québec et celle du Canada, en est une de progrès.

Le Québec se nomme et s’affirme comme entité nationale. La nation québécoise est formellement reconnue par des résolutions politiques de la Chambre des communes et trouve de plus en plus écho dans la jurisprudence canadienne.  

La Constitution reste à parfaire pour donner effet et garantie à cette reconnaissance. Mais comme le disait Jocelyn Maclure :

« Le fédéralisme canadien, malgré ses jours sombres et ses imperfections évidentes, s’est montré assez spacieux pour que le Québec réussisse son projet de construction nationale. »

Aujourd’hui, 94 % des Québécois parlent français.

Une vaste majorité de Québécois, sondage après sondage, se reconnaissent une allégeance québécoise et une appartenance canadienne.

Les Québécois forment une société plurielle qui reconnaît le droit des nations autochtones à préserver leur langue et leurs traditions et qui reconnaît l’apport inestimable de la communauté d’expression anglaise à l’essor économique, social et culturel du Québec.

Le Québec est une société ouverte qui accueille l’immigration selon un modèle d’intégration, l’interculturalisme, qui repose sur un principe de réciprocité assurant l’équilibre entre l’ouverture à la diversité et la continuité et la vitalité du caractère distinct et francophone du Québec.

Le Québec a changé depuis cinquante ans.

Les enfants du « maîtres chez nous » de Jean Lesage ont vu apparaître une administration publique moderne et une appropriation économique fulgurante.

Avec Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et la Société générale de financement, nous avons créé le Québec inc.

Depuis la Charte de la langue française, on affiche en français, les jeunes immigrants sont à l’école française, la grande majorité des jeunes anglophones choisissent maintenant d’apprendre le français.

Le Québec obtient les moyens de la sélection, de l’accueil et de l’intégration de l’immigration.

À la deuxième génération, les enfants de ces nouveaux arrivants vibrent au rythme du Canadiens de Montréal et les régions du Québec rient des blagues de Sugar Sammy.

Le Canada aussi a changé durant ces années.

Entre les années 70 et aujourd’hui, l’appui au bilinguisme est passé de 55 % à 84 %.

Depuis les années 80, les écoles d’immersion française se multiplient. La demande est si grande qu’en certains endroits, on attribue les places par tirage au sort.

La moitié des enfants du Yukon fréquentent soit l’école française, soit l’école d’immersion française.

Le ministre du Tourisme de l’Alberta, lui-même issu de l’immersion française, insiste avec nous pour la création d’un circuit touristique de la francophonie canadienne, parce que, dit-il, « le français, ça rapporte ».

Le World Trade Centre de Winnipeg est bilingue.

Cent ans après le règlement 17, qui bannissait l’enseignement du français, l’Ontario adhère à l’Organisation internationale de la Francophonie.

En juillet dernier, pour la première fois en 150 ans, les premiers ministres de toutes les provinces et territoires ont parlé d’immigration francophone et convenu d’atteindre une cible de 5 % d’immigration francophone, soit au-delà de la proportion de Canadiens de langue maternelle française à l’extérieur du Québec.

Il y a encore bien des combats à mener.

Il faudra bien des écoles françaises pour permettre aux jeunes nouveaux arrivants francophones et aux enfants qu’ils auront dans vingt ans de continuer d’apporter l’avantage de leur diversité linguistique à leur société d’accueil.

Mais comment ignorer encore longtemps cette nouvelle légitimité du français qui apparaît petit à petit depuis cinquante ans?

Pour nous, enfants du « maîtres chez nous », découvrir ces espaces francophones et francophiles à la grandeur du Canada, c’est redécouvrir que chez eux, c’est aussi un peu chez nous.

Canadiens français, puis Québécois.

Pour un temps, chacun chez soi.

Le temps d’une nécessaire Révolution tranquille.

Le temps de prendre notre place.

Le temps de s’affirmer et de se rassurer sur la pérennité de notre nation à majorité francophone.

Le temps que ce soit accepté.

Le temps de se demander deux fois si on voulait partir et de choisir deux fois de rester.

Le temps du chacun chez soi a renforcé notre allégeance québécoise.

Mais nous ne voulons pas opposer notre allégeance québécoise et notre appartenance canadienne.

Nous voulons additionner; pas soustraire.

Nous croyons aux appartenances plurielles et à la diversité reconnue dans toutes ses dimensions.

C’est pourquoi la voie que privilégie le Québec est celle d’un fédéralisme canadien qui reconnaît la diversité.

Pas seulement la diversité individuelle, mais aussi la dimension collective de la diversité.

La reconnaissance des identités nationales québécoise et aussi autochtone apparaît comme l’aboutissement naturel du projet canadien.

Cette voie répond aux aspirations des Québécois et constitue une piste d’ouverture aux Premières Nations et aux Inuits. Ghislain Picard a raison de dire que le rétablissement de la confiance est la condition de base de la réconciliation.

Ce choix de la diversité dans toutes ses dimensions permet aussi à tous les Canadiens de participer avec fierté à l’imagination et à la réalisation d’une formule de cohabitation plus accueillante et plus réussie, parce que plus respectueuse.

Dans un monde inquiet, tenté par l’isolement et le repli identitaire, les Québécois et tous les Canadiens ont l’occasion de se retrouver pour partager et réaliser l’ambition de rapprocher les appartenances plutôt que de les opposer.

En faisant le choix des appartenances plurielles, de la diversité nationale reconnue et acceptée, le Canada peut offrir une partie de réponse aux défis actuels de notre monde.

Aux sceptiques, dans la salle, ceux qui ont connu 1980 et 1982, 1987, 1990, 1992 et 1995, ceux qui, comme moi, sont imbibés du dernier demi-siècle, je voudrais dire ceci : l’avenir ne sera pas fait par nous.

L’avenir appartient aux moins de 20 ans.

C’est à leur tour.

Si on pense qu’ils feront l’avenir à notre façon et à l’image de ce que nous avons connu : non.

Les épisodes constitutionnels qui ont façonné les années 1970, 80 et 90 n’ont pas la même résonnance ou la même signification chez les jeunes que celle qu’ils peuvent avoir chez leurs aînés.

C’est ce que témoignent les sondages portant sur l’attachement identitaire des jeunes Québécois au Canada, lequel s’est significativement développé au cours des dernières années.

D’abord, le Québec et le Canada de 2017 ne sont plus ceux de 1967.

Et puis, la mondialisation, la mobilité croissante, la révolution de l’information et de la communication sont autant de nouvelles réalités qui changent notre façon de voir le monde, de voyager, de faire des affaires.

Les jeunes Québécois, comme les jeunes Canadiens, vivent au cœur de ces bouleversements et, à ce titre, ils sont des agents de changement et d’ouverture.

À leur façon, les jeunes Québécois imagineront le Québec. Avec la jeunesse du Canada, ils réinventeront le pays. Ensemble, ils apporteront leur contribution au monde.

On aurait tort de sous-estimer l’importance de leur influence.

Le premier ministre du Canada disait, à la tribune des Nations Unies, que le monde avait besoin de plus de Canada.

Je crois qu’il a raison, mais je veux aussi rajouter ceci : le Canada dont a besoin le monde, c’est un Canada qui accueille toutes les dimensions de la diversité individuelle et collective.

Un Canada qui a soif de se connaître pour mieux se reconnaître.

Un Canada qui sait bâtir une appartenance commune en accueillant les appartenances plurielles.

Le Canada dont a besoin le monde est encore à parfaire.

Convenir que ce sera l’affaire de la jeunesse ne nous donne pas congé de nos propres responsabilités.

Les gouvernements, les groupes de réflexion intéressés par les rapports sociétaux doivent initier le dialogue, ouvrir les espaces de discussion.

Le Gouvernement du Québec doit privilégier une présence accrue dans les débats et les échanges d’opinions des différents forums.

La voix du Gouvernement du Québec doit d’abord être plus présente sur la colline parlementaire à Ottawa, à Queen’s Park et dans les autres capitales du pays.

Elle doit aussi résonner sur Bay Street, se lire dans le Vancouver Sun et le Globe and Mail et même apparaître dans certains médias sociaux du pays.

Notre voix, comme gouvernement, doit porter auprès des forums de réflexion, des influenceurs et des faiseurs d’opinions.

Nous voulons aussi favoriser les interactions de la société civile.

Nous devons encourager les groupes sociaux et syndicats, les chefs d’entreprise, les environnementalistes, les artistes, les chercheurs du Québec à redécouvrir ou à intensifier leurs échanges avec ceux qui, ailleurs au Canada, partagent le même désir d’appuyer les plus vulnérables, de créer l’emploi, de répondre aux défis du climat, d’émouvoir et d’innover.

Cela ne durera pas un an; faire l’avenir, ça dure longtemps.

Mais l’objectif est clair :nous devons chercher à nous comprendre et à nous connaître, et cela doit être réciproque.

Faire connaître ce que nous sommes, ce qui est fondamental pour nous permet de faire comprendre nos choix, nos priorités, nos visions, nos ambitions.

Pour éviter à nos partenaires de se surprendre encore à se demander “What does Québec want?”

Pour mieux se connaître et se reconnaître, partageons plutôt sur toutes les tribunes notre réponse à cette autre question : “Who Quebecers are?”

Eh bien, nous sommes Québécois et c’est notre façon d’être Canadiens.