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Intervention du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales concernant la position du Québec sur le pouvoir fédéral de dépenser, dans le cadre des discussions relatives au projet d'Entente-cadre sur l'union sociale

Toronto, le 17 avril 1998 - La préoccupation principale des provinces, tant à l'égard des travaux du Conseil ministériel sur le renouvellement des politiques sociales que des présentes négociations sur le projet d'Entente-cadre sur l'union sociale, réside essentiellement dans leur volonté de se mettre à l'abri du fédéralisme unilatéral par lequel Ottawa s'est désengagé massivement du financement de programmes sociaux. Comme toutes les provinces, le Québec a souffert des coupures substantielles faites par le gouvernement fédéral dans les paiements de transfert pour la santé, l'aide sociale et l'éducation postsecondaire. Le Québec n'a eu d'autre choix que celui de composer avec cette situation de dépendance résultant de l'exercice du pouvoir de dépenser. Le Québec partage avec les provinces cette préoccupation quant à la stabilité et à la pérennité des engagements fédéraux en matière de financement des programmes sociaux. Toutefois, la préoccupation du Québec est beaucoup plus globale en ce qui a trait au pouvoir fédéral de dépenser.

Le Québec estime que l'élaboration, la planification et la gestion des programmes sociaux relèvent de sa seule responsabilité. Non seulement la Constitution lui reconnaît-elle une compétence exclusive en la matière, mais qui plus est, le gouvernement du Québec est le gouvernement le plus près des Québécoises et Québécois et le mieux placé pour respecter leurs aspirations et répondre à leurs besoins et priorités. C'est pour ces raisons que le Québec a toujours exigé qu'il puisse se retirer avec pleine compensation fiscale ou financière de toute initiative du gouvernement fédéral financée par son pouvoir de dépenser. Le Québec considère qu'il doit être le seul maître d'œuvre des initiatives sociales qu'il définit en fonction de sa façon de faire et de sa réalité spécifique.

C'est au nom même du respect de ce principe fondamental que le premier ministre québécois, M. Jean Lesage, a obtenu en 1964 le retrait du Québec de plusieurs programmes conjoints avec une compensation financière et je cite M. Lesage : « Québec a résolu de mettre un terme au régime des programmes conjoints et s'est retiré, en conséquence, des programmes ainsi institués par le fédéral en exigeant soit une compensation fiscale, soit une équivalence fiscale en points d'impôt. Ces programmes conjoints, qui créent de nombreux chevauchements, réduisent l'initiative des provinces dans les champs d'action que la Constitution leur reconnaît et déforment l'ordre des priorités établi par les provinces » (Conférence des premiers ministres, 25­27 juillet 1960).

Daniel Johnson père poursuivait dans la même veine : « Le Québec n'envisage pas de renouveler les programmes conjoints dont il s'est déjà retiré, ni s'engager dans de nouveaux programmes de cette nature. Il exige en retour une compensation inconditionnelle qui lui permettra d'assurer à la population québécoise des services conformes à ses propres besoins. » (Réunion du comité du régime fiscal, septembre 1966). Jean Lesage, Daniel Johnson père, Robert Bourassa et René Lévesque ont toujours défendu la compétence exclusive du Québec en matière de santé, d'éducation et de sécurité sociale.

La position exprimée par le premier ministre du Québec, M. Lucien Bouchard, lors de la récente Conférence des premiers ministres tenue en décembre dernier à Ottawa, s'inscrit tout à fait dans la perspective d'une continuité historique des positions défendues par ses prédécesseurs, fédéralistes comme souverainistes, quant au respect de la compétence québécoise en matière de programmes sociaux et à la nécessité de limiter le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.

Cette position se résumait pour l'essentiel par la proposition suivante : Le Québec se déclarait disposé à participer aux discussions sur le projet d'Entente-cadre sur l'union sociale et sur l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser si le gouvernement fédéral et les provinces exprimaient leur accord sur la reconnaissance d'un droit de retrait inconditionnel avec pleine compensation financière pour toute province qui ne souhaiterait pas participer à une stratégie, mesure ou programme ayant un impact dans un champ de compétence d'une province. De plus, le Québec demandait un moratoire sur toute nouvelle initiative financée par le gouvernement fédéral dans le secteur des programmes sociaux pendant la période des discussions relatives à l'union sociale. La proposition du Québec a alors été rejetée par le gouvernement fédéral, du revers de la main, sans opposition formelle des provinces.

Que s'est-il passé depuis décembre? Ottawa est resté sourd à la requête unanime des premiers ministres provinciaux à l'effet que le surplus budgétaire fédéral soit réinvesti en priorité dans le canal existant des transferts aux provinces (TCSPS) afin d'assurer un meilleur financement des services de santé de première ligne. Un tel geste aurait ainsi permis de rétablir partiellement le déséquilibre fiscal croissant entre, d'une part, les ressources financières dont profite le gouvernement fédéral, et d'autre part, les responsabilités assumées par les gouvernements provinciaux. Malheureusement, le gouvernement fédéral a choisi d'utiliser son surplus budgétaire pour exercer son pouvoir de dépenser, non plus pour se lancer dans de nouveaux programmes conjoints ou cofinancés, mais plutôt pour créer de nouveaux programmes qu'il finance à 100 %, laissant ainsi aux provinces le soin de s'ajuster. Lors du récent budget fédéral, Ottawa a annoncé notamment la création de la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire, la bonification de la prestation pour enfants de même que deux programmes pancanadiens pour les soins à domicile et l'assurance-médicaments.

Le Québec n'accepte pas cette façon de faire du gouvernement fédéral qui nie le respect de sa compétence, ses responsabilités et ses priorités en matière de programmes sociaux .

C'est pour cela qu'au moment où l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser est débattu pour la première fois par les ministres fédéral et provinciaux dans le cadre des négociations relatives au projet d'entente sur l'union sociale, le Conseil des ministres m'a mandaté pour intervenir aujourd'hui, de façon ponctuelle, afin de rappeler la position historique du Québec sur le pouvoir fédéral de dépenser et également afin que celle-ci soit prise en compte par l'éventuelle Entente-cadre sur l'union sociale.

Cette position est claire : le Québec demande que l'Entente-cadre sur l'union sociale reconnaisse sa position historique en prévoyant un droit de retrait inconditionnel avec pleine compensation financière à l'égard de toute nouvelle initiative ou nouveau programme fédéral cofinancé ou non dans les secteurs des programmes sociaux qui relèvent de la responsabilité des provinces. Cette position est conforme aux lignes directrices que le gouvernement du Québec s'est données en décembre dernier pour la conduite de ses relations intergouvernementales canadiennes.

Sans la possibilité d'un tel retrait inconditionnel avec compensation financière, le Québec ne saurait souscrire en aucune façon à quelque projet d'Entente-cadre sur l'union sociale négociée entre le gouvernement fédéral et les autres gouvernements. Ne pas reconnaître au Québec le droit de se retirer avec compensation financière de toute initiative fédérale en matière de politiques sociales, c'est refuser de reconnaître clairement au Québec sa réalité spécifique, son caractère distinct et c'est confirmer que la reconnaissance du caractère unique du Québec, mise de l'avant par la Déclaration de Calgary, n'est que purement symbolique.

La garantie d'un droit de retrait avec pleine compensation financière constitue une condition incontournable de la participation du Québec aux négociations relatives à un éventuel projet d'union sociale.

J'ai été mandaté par le Conseil des ministres pour rappeler à cette réunion la position du Québec sur le pouvoir fédéral de dépenser de même que pour prendre directement connaissance des positions respectives du gouvernement fédéral et des provinces à cet égard. Je ferai rapport au cabinet de l'état des discussions sur cet enjeu fondamental.